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MYSTERE SUR LA MIGRATION DES ANGUILLES NANTES, SETE ET PERPIGNAN, FRANCE + PAYS-BAS © LUCAS SANTUCCI / AGENCE ZEPPELIN
Les anguilles européennes sont encore méconnues. Ces poissons ont un cycle de vie contraire à celui des saumons : ils vivent en eau douce et se reproduisent en pleine mer. Aujourd'hui, leur population est en fort déclin, mais leur zone de reproduction n'est pas identifiée. Un mystère qui intéresse le laboratoire CEFREM, une UMR de l'Université de Perpignan, où une équipe de chercheurs est sur le point de remonter la piste des anguilles.
Une filière en devenir

Cela fait maintenant un siècle que le chercheur danois J. Schmidt a identifié la mer des Sargasses, toute proche du triangle des Bermudes, comme zone de reproduction des anguilles européennes. Mais le doute existe toujours. À l'heure actuelle, aucun œuf ni géniteur n'y a jamais été retrouvé. L'anguille européenne traverserait-elle l'océan Atlantique pour se reproduire là-bas ? Existerait-il d'autres zones de reproduction ? L'anguille de Méditerranée aurait-elle un comportement de migration différent ? Certains pêcheurs affirment même qu'elles se reproduisent là où ils pêchent…

La civelle (l'alevin de l'anguille) est considérée comme l'or blanc venant de la mer. Le kilogramme de ces petits poissons s'est élevé jusqu'à plusieurs milliers d'euros. Les Espagnols en raffolent pour les manger en tapas, tandis que les pays nordiques et asiatiques se l'arrachent pour la pisciculture. Ce business passé sous silence est pourtant très juteux. Eddy, un jeune pêcheur de civelles sur la Loire, nous explique qu'il est fréquent de voir des braconniers pêcher avec des épuisettes depuis les écluses. Bien que la police fluviale soit très vigilante, tous les braconniers ne tombent pas dans leur filet.

En France, la pêche à la civelle s'est considérablement développée dans les années 1970. Face à une demande croissante, les prises ont atteint 4 000 tonnes en 1978, contre moins d'une centaine de tonnes par an depuis 10 ans. Mais le civelier n'accepte pas que l'on accuse principalement les pêcheurs du déclin de l'espèce. Il y a 30 ans, les Nantais marchaient sur les civelles tant elles étaient abondantes. Aujourd'hui, avec l'assèchement des zones humides et la bétonisation des cours d'eau, on peut se demander où les anguilles se sont cachées, pendant parfois 40 ans, avant de recommencer leur migration vers cette zone inconnue.

Aux Pays-Bas, dans la petite ville de Volendam, une start-up se lance dans la reproduction des anguilles en pisciculture. Une levée de fonds de plusieurs centaines de milliers d'euros a d'ores et déjà permis de commencer les études. Les financeurs n'ont pas été difficiles à convaincre, car celui qui détiendra le secret bénéficiera d'un commerce flamboyant. Pour l'heure, cela reste un autre mystère que les anguilles ne veulent pas dévoiler.


Comprendre le cycle de reproduction

En attendant une réponse prochaine, la population d'anguilles européennes décline fortement. Plus au sud, le Comité régional des pêches du Languedoc Roussillon (CRPMEM-LR) tire la sonnette d'alarme et initie une régulation de la pêche en Méditerranée. Le but est de favoriser l'échappement d'un plus grand nombre de reproducteurs, et donc à long terme, de permettre à un plus grand nombre de civelles d'arriver sur nos côtes. Cette action, initiée en 2011 et réitérée annuellement depuis, est encadrée par les scientifiques de « l'équipe anguilles » du CEFREM (Centre de formation et de recherche sur les environnements méditerranéens) et du bureau d'études Seaneo qui ont élaboré un protocole de suivi et de bonnes pratiques. Tous les pêcheurs d'anguilles de la côte méditerranéenne sont invités à relâcher une partie de leurs captures (environ 150 kg, la quantité exacte étant déterminée par le nombre de participants) qui leur est payée afin de ne pas fragiliser la profession. C'est aussi l'occasion pour cette équipe de l'UPVD d'effectuer une grande quantité de mesures pour suivre la population et mieux comprendre les facteurs du déclin de l'espèce. Des échantillons sanguins sont prélevés, ils permettront de détecter d'éventuels virus qui pourraient être un facteur responsable du déclin de l'anguille.

Ce programme finance également les recherches relatives à la détermination des routes de migrations utilisées par l'anguille de Méditerranée. Une expérience visant à tracer précisément le début de la migration marine de l'anguille a été mis en œuvre. Elle consiste à glisser sous la peau des anguilles des émetteurs à ultrason. De cette manière il est possible de suivre une anguille relâchée dans un rayon de 200 mètres pendant plusieurs jours. Les premiers tests montrent que les anguilles argentées qui sortent des lagunes, qu'elles soient mâles ou femelles, prennent immédiatement la direction du large.

En 2013, le programme de relâcher a permis de financer une étude de marquage des anguilles à l'aide de balises satellites. Cette étude, menée par l'équipe de l'UPVD en collaboration avec un chercheur de l'Université Technique du Danemark (K. Aarestrup, spécialiste dans le domaine) a montré pour la première fois que les anguilles de Méditerranée sont capables de passer le détroit de Gibraltar et qu'elles mettent le cap vers la mer des Sargasses. Ces données disponibles sur les 6 premiers mois de la migration sont un grand pas pour valider l'hypothèse d'un lieu de reproduction unique pour les anguilles européennes comprenant les anguilles de Méditerranée.

Plus récemment, en décembre 2015, de nouveaux marquages ont été réalisés avec des balises satellites permettant de suivre plus longtemps les anguilles. En espérant que ce soit suffisant pour atteindre la mer des Sargasses…

© LUCAS SANTUCCI / AGENCE ZEPPELIN








LE PHOTOGRAPHE LUCAS SANTUCCI
D'abord ingénieur agronome, puis photojournaliste, Lucas a intégré l'équipe d'Under The Pole comme responsable logistique et partenariat. Il a embarqué pour 18 mois d'expédition au Groenland dans la promiscuité d'un voilier où il s'est affirmé comme photographe terrestre sous-marin. Depuis lors, il multiplie les reportages sous toutes les latitudes.