REPORTAGES PUBLICATIONS CONTACT
LE PETIT MOLOSSE RÉSERVOIR DE CORONAVIRUS
LA RÉUNION, FRANCE © THIBAUT VERGOZ / IRD / AGENCE ZEPPELIN
Les chauves-souris sont d'importants vecteurs de virus et de bactéries potentiellement transmissibles à l'Homme et à d'autres animaux. Sur l'île de la Réunion, une équipe de scientifiques de l'Institut de recherche pour le développement (IRD) étudie le Petit Molosse, un minuscule chiroptère endémique d'à peine 6 grammes qui colonise de nombreuses grottes et falaises, mais qui s'installe également dans les habitations, les ponts ou les églises. Encore très mal connue, cette espèce forme d'impressionnantes colonies où circulent différents agents infectieux, dont des coronavirus.
Tels des spationautes, Muriel Dietrich et Camille Lebarbenchon évoluent dans un chaos obscur et poisseux. Le sol est jonché d'excréments en décomposition, l'air est saturé d'ammoniaque et la température est suffocante. Au-dessus de leurs têtes, des milliers de chauves-souris s'envolent, effrayées par le bruit des bipèdes et leurs lampes éblouissantes. Chercheurs au sein de l'unité « Processus infectieux en milieu insulaire tropical » (IRD-PIMIT), les deux biologistes sont arrivés au bon endroit. Là, au fond de la grotte de Trois-Bassins, ils étudient la plus grande colonie de Petits Molosses connue de l'île, avec près de 100 000 individus reproducteurs. Équipé de combinaisons intégrales, de surbottes, de deux paires de gants scotchés à la combinaison, de masques à gaz et de lampes frontales, le binôme s'accroupit pour travailler. Camille prélève des fèces fraîches à l'aide de feuilles de papier blanc étendues sur le sol. Avec une pincette, il remplit plusieurs capsules qu'il donne à Muriel qui les range une à une, abritée sous un parapluie. Il s'agit de limiter au maximum la contamination du matériel d'échantillonnage tandis que l'urine et les fientes continuent de pleuvoir autour d'eux. L'opération terminée, les scientifiques désinfectent leur équipement à la javel avant de retrouver l'air libre. Leurs combinaisons, gants et surbottes sont jetés. Ils vident toute leur sueur des bottes, et peuvent enfin se restaurer.

Avec plus de 1400 espèces, les chauves-souris représentent 20% des espèces de mammifères dans le monde. Souvent considérées comme nuisibles, elles ont pourtant un rôle fondamental dans les écosystèmes. Véritables régulateurs des populations d'insectes dont elles se nourrissent, elles permettent d'économiser des coûts importants au secteur agricole. Elles sont aussi déterminantes dans la dispersion du pollen et des graines, et donc dans le maintien de la diversité végétale.

Malheureusement, les chauves-souris sont porteuses de nombreux agents infectieux, notamment de virus responsables de zoonoses tels Ebola, Hendra et Nipah. Au cours des deux dernières décennies, de nouveaux virus issus des chiroptères ont eu des conséquences dramatiques pour la santé publique, vétérinaire, mais également pour l'économie. C'est notamment le cas des coronavirus tels que le syndrome respiratoire aigu sévère (SRAS), le syndrome respiratoire du Moyen-Orient (MERS) et le syndrome de diarrhée aiguë du porc (SADS).

Dans ce contexte, l'IRD cherche à comprendre comment fonctionnent les populations de chauves-souris dans les écosystèmes insulaires de l'océan Indien. Outre l'écologie fondamentale, ces études de terrain ciblent les agents infectieux potentiellement pathogènes pour l'Homme, en recherchant par exemple la présence de bactéries Leptospira, de paramyxovirus ou coronavirus. Le suivi des populations de Petit Molosse de La Réunion entre dans ce cadre. Il permet d'obtenir des informations précises sur les dynamiques d'infection, c'est-à-dire où et quand les animaux sont infectés, et quels sont les facteurs écologiques et démographiques à l'origine, par exemple, de pics d'infection dans les colonies.

Le Petit Molosse de la Réunion (Mormopterus francoismoutoui) est l'une des trois espèces de chauves-souris vivant sur l'île. Comme ses congénères, cet animal endémique est menacé par la destruction des habitats et la réduction des espaces naturels. Fréquemment, il s'installe dans les églises, les maisons ou les viaducs. Ce soir-là, pour multiplier les sites de prélèvements, les scientifiques investiguent un tunnel sous la route des Tamarins, le principal axe routier de l'Ouest de l'île. Sous un admirable graffiti égayant le mur de béton, ils campent leur laboratoire de terrain, puis déploient un piège harpe et un filet japonais. Presque indétectables, ces deux structures de fils de pêche permettront de capturer les chauves-souris dès le coucher du soleil, moment où elles quittent leur abri pour aller s'alimenter.

La nuit tombée, trente Petits Molosses sont examinés sous toutes les coutures. Ils sont pesés, déployés, mesurés. Salive et urine sont prélevées avec des écouvillons. Chaque individu est tatoué à l'aile avec un numéro identifiant unique et intégré à une base de données, de la même manière que pour le baguage des oiseaux. Cela permet de savoir s'il a déjà été capturé. Cette technique de Capture-marquage-recapture (CMR) permet de suivre la dispersion des individus dans les différentes colonies, et la dynamique de population à long terme.

Acheminés à Saint-Denis, les échantillons sont conservés à –80°C au laboratoire du CYROI, un groupement d'intérêt public initié par l'Université et le CHU de La Réunion. Mais avant toute chose, ils doivent être « inactivés » dans un laboratoire confiné de type P3. Ainsi, en détruisant les particules de virus qu'ils contiennent, ils perdent leur pouvoir infectieux et peuvent être manipulés sans danger par les chercheurs. Dès lors, les scientifiques peuvent procéder à l'analyse PCR des différents échantillons dans une salle propre, comme Samantha Aguillon, doctorante, qui ce jour-là étudie les herpèsvirus contenus dans la salive des Petits Molosses. Pour l'instant, aucun virus transmissible à l'Homme n'a été identifié, mais les recherches continuent pour s'en assurer.

Julien Pannetier







LE PHOTOGRAPHE THIBAUT VERGOZ
Écologue et géographe de formation, Thibaut a travaillé plusieurs années dans le milieu de la recherche scientifique en tant que biologiste de terrain, avant de se consacrer à la photographie. Il considère ce médium comme un moyen de découvrir, de pénétrer et de documenter les univers qui le fascinent - un moyen d'observer au plus près le monde qui l'entoure. Il s'intéresse à des sujets très variés, mais l'isolement, les populations en marge, les extrêmes et les problématiques environnementales restent au coeur de sa réflexion.