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FIÈVRE DE L'OR L'ELDORADO DE SIGUIRI
BATAMBAYE, DISTRICT DE SIGUIRI, GUINÉE © GUILLAUME PETERMANN / ZEPPELIN
Ils ont tout retourné. Il n'y a plus de cultures, les derniers arbres meurent, l'horizon est sens dessus dessous. Ceux qui travaillent ici, à Batambaye, ont tourné leur regard vers le bas, vers le sol. Ils cherchent de l'or. Sous le soleil guinéen, les hommes descendent dans de profonds boyaux étouffants, les enfants concassent des bennes de minerai et les femmes lavent des mètres cubes de sable et de terre. Un processus fastidieux, réalisé dans des conditions dantesques, où la vie vaut moins que l'espoir de faire fortune.

Chaque année, la Guinée produit 8 à 10 tonnes d'or par le biais de grandes sociétés minières, mais l'orpaillage artisanal passe sous les radars officiels. D'importants revenus sont pourtant générés par ce secteur informel, et ce d'autant que la valeur de l'or ne cesse de monter depuis plusieurs années. Mais si la croissance économique est visible dans le district de Siguiri, le développement est au point mort. Ainsi, en délaissant l'agriculture vivrière, c'est toute une société rurale qui creuse sa tombe.
Une ruée vers l'or, valeur refuge

L'exploitation aurifère ne date pas d'hier en Afrique de l'Ouest, qui plus est dans le district de Siguiri, à quelque 700 km au nord-est de Conakry, où c'est bien l'or qui a participé à l'apogée de l'Empire mandingue au XVème siècle. Mais aujourd'hui, depuis la crise financière de 2008, les incertitudes liées à la pandémie de Covid-19, et maintenant la guerre en Ukraine et l'inflation généralisée, cette activité prend des dimensions inédites. Le cours de l'or, cette valeur refuge, n'a cessé de grimper sur les marchés internationaux. On estime qu'il a connu une hausse de près de 20% depuis le début de la guerre en Ukraine.

Dans toute la région, les mines artisanales s'intensifient autour d'une véritable « fièvre de l'or ». Ce qui était autrefois une activité subsidiaire et saisonnière est devenue une activité à temps plein. De nouveaux sites sont constamment découverts et d'anciennes mines rouvertes par des artisans mineurs. La région se situe d'ailleurs au troisième rang mondial des zones les plus riches en terrains aurifères, après l'Australie et le Canada. Aujourd'hui, 20% de la production minière mondiale serait issue des mines artisanales, des sites où l'on creuse de manière rudimentaire, sans grands capitaux. Rien qu'en Guinée, il y aurait environ 300 000 orpailleurs qui travaillent ainsi.

Connue comme « la terre de l'or », la région située entre Labé et Siguiri, en Haute-Guinée, est réputée pour se trouver sur une vaste réserve de minéraux précieux. Cet eldorado guinéen attire non seulement les chercheurs d'or traditionnels, mais aussi des familles entières qui affluent de toute la Guinée, ainsi que des pays voisins comme le Mali, le Libéria, la Sierra Leone ou encore le Burkina Faso. Elles suivent les « creuseurs » sur les sites d'orpaillage, poussés par l'espoir d'en profiter aussi.


Des villages en proie à une croissance anarchique

En quelques années, des centaines de petits villages agricoles isolés se sont transformés en sortes de camps de travail où toute une économie informelle s'est développée autour de l'extraction de l'or. De nombreux commerces s'y sont implantés, plus ou moins anarchiquement, pour que les mineurs puissent dépenser l'argent qu'ils ont gagné. On trouve des vendeurs d'essence et de mercure, essentiels à la l'exploitation aurifère, des forgerons pour fabriquer les outils en métal et des mécaniciens pour réparer les différentes machines et les véhicules. Certains proposent de recharger les batteries de téléphone, d'autres louent des détecteurs de métaux. Enfin, de nombreuses gargotes fournissent aux travailleurs des vivres, de l'alcool, des cigarettes et des médicaments.

À Batambaye, dans le campement des mineurs adossé au village d'origine, des familles venues de près ou de loin vivent dans des abris de fortune faits de bois et de bâches et divisés selon leurs ethnies. La plupart ne restent que quelques mois, se déplaçant d'un site à l'un autre en quête de nouveaux gisements. Les plus chanceux, ceux qui ont réussi a générer un profit, s'y installent durablement et réinvestissent pour la plupart dans la recherche de l'or (achat de matériel, véhicule, etc.). Désormais, les villageois peuvent compter sur les générateurs des mineurs pour avoir accès à l'électricité. De nouveaux puits pour l'eau ont pu être creusés, et la mosquée rénovée grâce aux redevances versées par les mineurs pour exploiter la terre.


Un désastre social pour quelques grammes d'or

Bien que l'orpaillage artisanal puisse être perçu comme une nouvelle accumulation de richesses décentralisée et plus équitable, ou comme un moyen de lutte contre la pauvreté, cette quête de fortune immédiate a en réalité des conséquences désastreuses sur l'économie locale. En effet, cet eldorado attire une main d'œuvre d'ordinaire vouée à l'agriculture, or l'abandon des terres cultivées a des répercussions évidentes sur la production alimentaire. Qui plus est, cet exode massif entraîne une déscolarisation généralisée, et une augmentation du travail des enfants.

Cette fièvre engendre de nombreuses tensions entre les communautés villageoises et les mineurs. On observe aussi des heurts, parfois très violents, entre les différents groupes d'orpailleurs. L'orpaillage participe également à créer des cercles corruptifs en lien avec des responsables locaux peu scrupuleux qui rançonnent les mineurs en percevant des impôts informels.

Sans cadre rigoureux, les conditions de travail des mineurs sont déplorables. Les investissements technologiques sont tournés vers l'efficacité, et non la sécurité. Les concasseurs à diesel et les détecteurs de métaux se multiplient, mais les mineurs continuent de descendre dans des tunnels mal étayés. On ne compte plus les accidents tels que les chutes, les éboulements de puits et les effondrements de galeries. Quand les mineurs ne finissent pas ensevelis, ils développent des maladies à cause du manque d'hygiène, de la rigueur du climat, et de leur négligence face aux produits chimiques tels que le mercure.

Les mineurs acceptent tous les risques en s'enfonçant chaque jour plus loin dans la terre. Ils creusent des puits jusqu'à 25 mètres de profondeur, au fond desquels ils fouillent dans une sorte de cuvette circulaire. Dans ces boyaux d'un mètre carré environ, ils se relaient du matin au soir, enveloppés dans un manteau de poussière. Un par un, pieds nus pour la plupart, ils descendent armés d'un soulikoudouni, une sorte de pioche suffisamment étroite pour travailler dans le puits. Muni d'une lampe de poche ficelée à la tête, ils creusent pendant des heures, sans boire ni manger. Au fond, l'air épais rend la respiration difficile. Dehors, les femmes attendent le signal pour remonter les seaux de minerai à bout de bras.

Dans le district de Siguiri, l'or est aggloméré aux roches, ce qui nécessite un long processus avant de l'estimer. Ici, pas de pépite. Le minerai doit être concassé, puis réduit en sable avant d'être tamisé. La poussière ainsi obtenue est « lavée » à l'eau sur des plans inclinés agrémentés de tapis. La « moquette » agit comme un filtre et retient les particules les plus grossières. Répétée de nombreuses fois, cette étape fastidieuse permet d'écarter le sable tandis qu'apparaissent les premières paillettes d'or. À ce stade, on emploie du mercure pour amalgamer l'or, c'est-à-dire que les deux métaux vont naturellement se lier l'un à l'autre. Ils sont ensuite séparés au moyen d'un chalumeau. Le mercure ayant un point de fusion inférieur à celui de l'or, il s'évapore et ne reste que l'or brut.

Non loin de là, des comptoirs d'achat permettent aux orpailleurs d'écouler leur production quotidienne. À l'aide d'une balance de précision et d'un carton pour se protéger du vent, mais aussi du regard des autres, les marchands ambulants achètent le précieux métal. Ceux-là savent profiter de la précarité des mineurs, souvent créanciers, pour faire baisser les prix. Cet or finit entre les mains de grossistes-exportateurs qui le raffinent et le transforment en lingots dans de petits ateliers dédiés, avant de le revendre à la Banque centrale de Guinée ou à l'étranger (Dubaï notamment).


Une fourmilière toxique

L'orpaillage est à l'origine de nombreuses dégradations environnementales à travers le monde, et la Guinée ne fait pas exception. Dans toute la région, de grands espaces sont rasés de leur couvert végétal. Les arbres sont coupés pour étayer les galeries de mines. Le sol est creusé de toutes parts, et d'énormes quantités de déblais les rendent inutilisables pour le pâturage ou les cultures. Le paysage est lunaire. À Batambaye, sur un site de quelques centaines de mètres carrés, la longue procession de femmes et d'hommes qui vont et viennent au milieu des monticules de roche et de terre n'est pas sans rappeler une fourmilière. On devine immédiatement l'impact catastrophique sur l'environnement.

À y regarder de plus près, les sols sont pollués par le rejet de substances toxiques, et ce, même quand ils ne sont pas directement occupés par une mine. Le mercure est quotidiennement libéré dans le sol. Les métaux lourds s'accumulent dans la nappe phréatique qui distribue une eau toxique à la flore, à la faune et aux différents puits aménagés pour l'homme. Certains tronçons du fleuve Niger et de ses affluents, comme la rivière Tinkisso qui coule à côté de Batambaye et où les villageois pêchent et se baignent, sont fortement perturbés et pollués par l'orpaillage.

Si l'exploitation artisanale de l'or semble cruciale pour des centaines de milliers de personnes à travers la région, elle soulève de nombreux défis sociaux, économiques et environnementaux. Dans un pays aussi fragile que la Guinée, bien que l'activité soit officiellement réglementée, il semble difficile pour l'État de garantir des conditions d'exploitation sûres et durables. Dans un contexte de hausse constante du prix de l'or, l'orpaillage traditionnel tel que pratiqué à Batambaye apparaît comme l'unique recours aux yeux d'une population jeune, et souvent sans réelle perspective, pour s'extraire de la misère. Mais leur avidité laissera derrière elle un désert où plus rien ne poussera.

© GUILLAUME PETERMANN / ZEPPELIN













LE PHOTOGRAPHE GUILLAUME PETERMANN
Photographe et graphiste de formation, Guillaume aime s'aventurer dans des zones difficiles d'accès à la rencontre de leurs habitants. Son travail s'articule essentiellement autour du photoreportage et couvre des thématiques aussi variées que le voyage ou le documentaire culturel, social et environnemental. Des montagnes du Pamir aux mines d'or artisanales de Guinée, en passant par la vallée de l'Omo en Éthiopie ou l'île de Socotra au Yémen, Guillaume cherche en permanence la meilleure lumière pour révéler l'âme de ses sujets.
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