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SAAMIS NOUS VIVIONS DANS LA TOUNDRA
LOVOZERO, PÉNINSULE DE KOLA, RUSSIE © NATALYA SAPRUNOVA / AGENCE ZEPPELIN
Les cheveux teints en rose, smartphone en poche, Ouliana traverse la toundra comme son jardin. Elle n'a que 11 ans, mais elle manifeste déjà les traits de caractère de son ethnie : les Saamis de Russie. Elle adore pêcher, bricoler, vivre au grand air, tricoter et manger de la viande de renne avec les mains. Elle hérite d'une famille d'éleveurs de rennes dont les traditions ont bien failli disparaître.

Installés sur la péninsule de Kola, l'arrière-pays de Mourmansk, les Saamis de Russie se sont mieux adaptés au blizzard qu'au communisme. Ici, au nord du cercle arctique, ils ont vécu pendant des millénaires au rythme des saisons avant d'être bâillonnés par les Soviétiques. Sédentarisés dans des kolkhozes à partir des années 1920, ils n'avaient plus le droit d'être saamis ; la langue et l'habit traditionnel étaient interdits. Finalement relogés dans les étages des nouveaux immeubles de Lovozero, ils se sont tus comme des oiseaux en cage.

Aujourd'hui, les motoneiges ont remplacé les traîneaux de rennes, et même si Prazdnik Severa (« le festival du Nord ») est l'occasion de participer aux courses de traîneaux, c'est toute une culture qui essaye péniblement de se relever. Quelque 1500 personnes vivent encore sur la péninsule de Kola, mais seules 200 parlent la langue saamie et ce sont principalement des personnes âgées. Les enfants suivent des ateliers de couture, regardent les anciens rituels chamaniques au théâtre, mais la langue elle-même s'avère être un écueil pour les fédérer. Face aux désaccords sur la phonétique du dialecte kildine, un dictionnaire devrait bientôt être publié. Une culture tenue à bout de bras, à laquelle le tourisme pourrait apporter un second souffle, si tant est qu'il ne la réduise pas au folklore.
[Lovozero, péninsule de Kola, Russie] Éleveur de rennes de père en fils, Piotr Galkin appartient à l'ethnie saamie. Habillé dans une tenue traditionnelle en peau de renne, il est assis sur un traîneau de rennes à l'occasion de Prazdnik Severa (« le festival du Nord ») qui se tient chaque année à la fin mars. Pendant longtemps, il participait à la compétition d'attelage de rennes, mais du haut de ses 93 ans, sa santé ne lui permet plus d'en conduire.





[Lovozero, péninsule de Kola, Russie] Un éleveur de rennes passe à toute allure sur son traîneau devant les immeubles résidentiels du village. Autrefois semi-nomade, la communauté saamie est largement représentée dans cette « colonie rurale » de 3 000 habitants.


[Lovozero, péninsule de Kola, Russie] Des bergers à motoneige et leurs chiens mènent quelque 2000 têtes de bétail à travers la toundra forestière et jusqu'à la coopérative agricole. Un renne adulte vaut entre 20 000 et 30 000 roubles. Si l'animal est débourré à l'attelage, il vaut entre 60 000 et 70 000 roubles.
[Mishukovo, péninsule de Kola, Russie] Elena Yakovleva prépare son tambour pour le faire sonner et accomplir un rituel devant une pierre sacrée dans le mini-village saami qu'elle a reconstitué pour les touristes. Elle a hérité du tambour de son frère qui était un vrai chaman. La religion orthodoxe est arrivée sur la péninsule de Kola dans la deuxième moitié du XVIème siècle, imposée aux Saamis par l'État russe tsariste. Les chamans ont été pourchassés par les orthodoxes, puis par les Soviétiques. Ils étaient constamment menacés de mort, et leurs tambours ont souvent été détruits.





[50 km à l'est de Lovozero, péninsule de Kola, Russie] Un autochtone saami propose des visites ethnotouristiques mais sans respecter les vraies traditions saamies. Ici par exemple, il guide un jeune touriste chinois à dos de renne, ce qui ne s'est jamais pratiqué chez les Saamis. Les règles du costume ne sont pas respectées non plus. Destinée au tourisme de masse, cette démarche irrite la communauté saamie qui y voit autant de grossièreté que d'argent mal acquis.


[Olenegorsk, péninsule de Kola, Russie] Deux Pères Noël défilent dans la rue. Celui de gauche, en bleu, est de tradition russe. Celui de droite est de tradition saamie ; il s'appelle Mougne Kallsa, ce qui veut dire « Père du froid » en saami. C'est un magicien-bienfaiteur : il adore offrir des cadeaux et jouer avec les enfants aux jeux traditionnels saamis. Au centre, on distingue Vaidz Niïta, la petite fille de Mougne Kallsa, qui le seconde tout au long de ses pérégrinations.
[Lovozero, péninsule de Kola, Russie] La mère de Vladimir, Tatiana, est décédée en 2021 en laissant son mari, Piotr, tout seul. Elle avait 85 ans. Ensemble, ils ont eu 4 enfants qu'ils ont tous élevés dans la toundra jusqu'à ce que les Soviétiques les obligent à rester et à travailler à Lovozero.





[Lovozero, , péninsule de Kola, Russie] Vladimir dit au revoir à sa fille Ouliana en lui faisant un baiser saami avec le nez. Elle s'apprête à rejoindre Krasnoshchelye en hélicoptère, un village isolé au milieu de la péninsule de Kola pour passer un mois en vacances d'été avec sa grand-mère maternelle.


[Krasnoshchelye, péninsule de Kola, Russie] Chez sa grand-mère, Ouliana se réveille en levant sa moustiquaire. Avec le réchauffement climatique qui touche l'Arctique, les moustiques risquent de se propager sur la péninsule de Kola, et avec eux, le risque de contracter la malaria ou le virus du Nil occidental.
[entre Lovozero et Krasnoshchelye, péninsule de Kola, Russie] Vue sur la toundra de la péninsule de Kola, un milieu constellé de lacs, de marais et de tourbières que des chenillettes ne sauraient franchir pendant la saison estivale.





[Chalmny-varre, péninsule de Kola, Russie] Dans la rivière Ponoï, Ouliana attrape un brochet pour le dîner. Si la pêche est une activité traditionnelle pour les Saamis, désormais ils doivent en demander la permission. Sur la péninsule de Kola, la pêche n'est autorisée qu'en des endroits très précis, et uniquement pour les résidents qui n'en tirent aucun revenu. Mais les Saamis considèrent la procédure d'obtention d'une telle autorisation comme trop fastidieuse, trop bureaucratique, ce qui va à l'encontre de leurs droits en tant que peuple indigène.


[Chalmny-varre, péninsule de Kola, Russie] Ouliana verse de l'eau sur une pierre pour mieux distinguer les pictogrammes qui ont été gravés il y a plus de 3000 ans (deuxième millénaire avant J-C). Ces pictogrammes représentent des rennes. Une seconde pierre a été enlevée pour être exposée au Musée de l'histoire, de la culture et de la vie des Saamis de Kola, à Lovozero.
[Varzino, péninsule de Kola, Russie] Chaque été, les membres de la famille Afanasyev se rendent en pèlerinage sur la terre qui les a vu grandir : Varzino. Ils montent des tentes et des tchoums pour camper une semaine sur place. Certaines tentes, comme celle de la cuisine et du stockage, demeurent à l'année. Mais cette fois, un ours qui vit à proximité est venu y chercher sa nourriture, détruisant une partie de la tente.





[Varzino, péninsule de Kola, Russie] Connu comme le plus ancien campement d'été des Saamis de Semiostrovsk, le village de Varzino a été démantelé par les Soviétiques en 1968. C'est pourtant là qu'Anissya et sa cousine Nina sont nées dans les années 1930. Leurs parents ont été enterrés dans ce cimetière où elles se rendent chaque année pour entretenir les tombes et déposer des fleurs.


[Varzino, péninsule de Kola, Russie] Nina Afanasyeva montre les vestiges d'une habitation estivale, avec au centre la place dédiée au feu : « Les Saamis ont longtemps été semi-nomades, c'est-à-dire qu'ils vivaient à un endroit en été, et à un autre en hiver. Ici, ils étaient engagés dans la chasse aux phoques communs, aux nerpas et aux poissons de mer », précise l'érudite de 83 ans.
[Lovozero, péninsule de Kola, Russie] Roman Yakovlev, 35 ans, est militant saami. Il s'est dépêché d'apprendre la langue saamie en deux ans pour mieux la transmettre à son tour. Il est en train de rédiger un dictionnaire en langue saamie de dialecte kildine pour pallier les lacunes de la phonétique. En effet, la transcription de certains sons n'a toujours pas été officiellement établie, ce qui freine la transmission de la langue et le consensus sur l'utilisation de certains livres pour enfants. Interdite pendant l'époque soviétique, la pratique de la langue saamie se réduit aujourd'hui à quelque 200 personnes en Russie, et la plupart ont plus de 70 ans.





[Lovozero, péninsule de Kola, Russie] Valentina Sovkina consulte les coupures de presse qu'elle a archivées à propos de la culture de son peuple. Ancienne directrice de la radio saamie, et ancienne présidente du Parlement saami de la péninsule de Kola, elle veut également sensibiliser l'opinion publique au réchauffement climatique.


[Teriberka, péninsule de Kola, Russie] Andreï visite une ancienne école du village de Teriberka, au nord-ouest de la péninsule de Kola, face à la mer de Barents. Il y trouve de vieux manuels abandonnés, symboles d'une époque où les Soviétiques interdisaient de parler saami et de porter les costumes traditionnels.
[Lovozero, péninsule de Kola, Russie] Vladimir fête son anniversaire le 12 juin, le même jour que la fête nationale russe. Or cette année-là, elle coïncide aussi avec Letniyé igrichtcha (« les Jeux d'été saamis ») qui se déroulent pendant un week-end à la mi-juin. À cette occasion, le drapeau saami est toujours officiellement levé à Lovozero, sauf aujourd'hui car l'administration russe a considéré que faire monter un drapeau régional serait un acte séparatiste. Mais Vladimir a quand même installé les deux drapeaux dans sa cour comme un signe de sa double culture.





[Lovozero, péninsule de Kola, Russie] Ouliana participe à un photocall qui illustre une robe d'été saamie, dont la version allégée en soie a été influencée par la culture russe.


[Lovozero, péninsule de Kola, Russie] Participant à un festival de musique saamie, trois jeunes filles discutent en sirotant des verres de Pepsi.
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LA PHOTOGRAPHE NATALYA SAPRUNOVA
Née au nord du cercle arctique, à Mourmansk, en Russie, Natalya a d'abord travaillé comme photojournaliste pour le quotidien Le Messager de Mourmansk pendant ses études supérieures de français. Arrivée en France en 2008, elle exerce dans le marketing avant de se faire naturaliser Française et de revenir à la photographie. Diplômée de l'École des métiers de l'information (EMI) à Paris, elle continue d'explorer les problématiques de la société moderne liées à l'identité, la jeunesse, l'environnement et la spiritualité. Passionnée par la transmission des savoirs, elle donne également des cours à l'école Graine de photographe à Paris.