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DE ROUILLE ET D'HOMMES
DHAKA ET CHITTAGONG, BANGLADESH © ZEPPELIN
La majorité des grands navires finissent leur vie en Asie du Sud. Ils sont désossés à même la plage, sans aucune précaution. Au Bangladesh, le démantèlement naval est devenu un pilier de l'économie nationale, mais les conditions de travail sont épouvantables. Les enjeux financiers sont tels qu'industriels et armateurs ferment les yeux sur le drame qu'ils ont orchestré.
DHAKA  LES GALÉRIENS DU CABESTAN
[Dhaka, Bangladesh] Le chantier naval de Dhaka est situé le long de la Buriganga, une rivière noircie par les égouts et les tanneries. C'est là que s'entassent les péniches et les ferrys éprouvés par des années de navigation hasardeuse. Des soudeurs, des mécanos et des électriciens s'activent à bord des structures métalliques qui résonnent du fracas incessant des marteaux. Du matin au soir, ils tapent pour faire tomber la rouille.





[Dhaka, Bangladesh] Sur le chantier, on ne trouve aucun matériel de levage des bateaux. Seuls quelques vérins à vis permettent d'aider les forçats. Ils tentent ici de soulever une péniche afin de l'asseoir sur un chariot. À défaut d'un treuil de halage, la trentaine d'hommes sera ensuite enrôlée pour faire tourner le cabestan.


[Dhaka, Bangladesh] Des cris puissants s'échappent du chantier poussiéreux ; ce sont des gars qui s'encouragent. Ils tournent autour d'un cabestan : un axe vertical muni de deux leviers autour duquel s'enroule un câble. Large d'une dizaine de mètres, il permet de combiner la force de plusieurs hommes pour tirer des bateaux hors de l'eau.


[Dhaka, Bangladesh] Payés deux euros la journée, les costauds, les vieillards et les adolescents travaillent comme des bêtes de somme. Un jour peut-être, une machine les remplacera, mais ce serait une déconvenue pour Nourislam, 52 ans, qui craint de perdre son emploi : « Le Bangladesh n'a qu'une richesse, ses hommes » argue-t-il de sa vie passée sur les chantiers.


[Dhaka, Bangladesh] Centimètre par centimètre, le bateau avance sur l'aire de carénage à la cadence des hommes courageux. Encore quelques tours et la « galère » sera finie. À gauche, le patron veille à la bonne conduite du halage. Le câble résistera-t-il ? Il faut l'espérer, sinon il risque de trancher des hommes dans sa course.
CHITTAGONG  LES BOUFFEURS D'ÉPAVES
[Chittagong, Bangladesh] Les chantiers de démantèlement de Chittagong accueillent les plus grands bateaux du monde. Quelques-uns mesurent jusqu'à 350 m de long, mais la plupart sont des panamax qui n'excèdent pas 294 m, soit la longueur maximale admise dans le canal de Panama. Ces navires ont un poids à vide d'environ 11 000 tonnes. Il faut jusqu'à neuf mois pour qu'un vraquier typique soit démantelé.





[Chittagong, Bangladesh] Les chantiers fonctionnent en flux tendu avec les ateliers et les magasins à terre. Ils doivent tirer autant d'argent que possible de ces épaves, et les préoccupations environnementales ne font pas partie de leurs contraintes. Ici, l'huile et le fuel sont récupérés, mais le reste des produits dangereux est jeté à la mer.


[Chittagong, Bangladesh] La carcasse du navire est tractée morceau par morceau. Les hommes doivent d'abord transporter le câble en file indienne, un travail rendu harassant par la boue qui arrive aux mollets. Juste avant le départ du treuil électrique, une sirène prévient les ouvriers pour qu'ils s'écartent. Il arrive parfois que le câble cède, tournoyant comme un fouet mortel.
[Chittagong, Bangladesh] L'absence d'infrastructures (quai, cale sèche) est contournée par le choix d'un plan incliné naturel dans une zone à fort marnage, tel que le site de Chittagong. L'ultime capitaine de chaque navire doit donc s'échouer d'aplomb et pendant les grandes marées afin que les ouvriers à terre puissent y accéder à marée basse. Le démantèlement peut alors commencer, mais étant donné que le sol est instable, la machinerie lourde et les grues sont proscrites. Les travailleurs eux-mêmes ne peuvent pas porter de bottes car ils resteraient collés dans la boue. Quant au réseau de collecte et de traitement des effluents, il n'existe pas.





[Chittagong, Bangladesh] Quatorze hommes portent une plaque de ferraille. Un travail qui n'admet aucun faux pas. Pourtant, ces ouvriers n'ont ni formation, ni protection. Les plus jeunes, qui ont entre 14 et 16 ans, sont plutôt employés comme oxycoupeurs, ou pour rentrer dans les espaces confinés des navires. La ferraille est à destination des laminoirs. Les camions sont pesés à l'entrée et à la sortie du chantier.


[Chittagong, Bangladesh] À Chittagong, environ 500 ouvriers sont morts ces dernières années et 6 000 ont été grièvement blessés. Ces temps-ci, on compte une quinzaine de morts par an, mais aucun propriétaire de chantier n'est jamais tenu pour responsable. À chaque fois, les industriels réussissent à faire pression sur les magistrats pour qu'ils abandonnent les poursuites. Les familles ne sont jamais indemnisées.
[Chittagong, Bangladesh] Des ouvriers lâchent une plaque de ferraille qui s'abat lourdement au sol. Une manipulation très dangereuse dans des conditions sommaires. Certains exploitants de chantier sont tout de même plus consciencieux que d'autres. Ici, les oxycoupeurs portent des gants, des masques, des lunettes et des casques. Un fait suffisamment rare à Chittagong pour qu'il soit signalé.





[Chittagong, Bangladesh] Le sol est jonché de plaques, de câbles, de chaînes et de tuyaux de gaz que les ouvriers enjambent en sandales. Dans la plupart des cas, ils ne portent pas de protection. Ils ne connaissent d'ailleurs pas les risques en travaillant, par exemple, sur un pétrolier de 300 m qui contient en moyenne 24 tonnes de peinture, 2 000 tonnes de boues d'hydrocarbures et 7 tonnes d'amiante pure.


[Chittagong, Bangladesh] Les oxycoupeurs redoutent d'entrer dans la salle des machines. Entre les joints de la tuyauterie, du gaz reste souvent pris au piège : « C'est l'endroit le plus dangereux. Personne ne nous dit ce qu'il y a dedans, mais les odeurs sont vraiment âcres ! » rapporte l'adolescent qui, s'il n'est pas intoxiqué, risque de tout faire exploser avec son chalumeau.


[Chittagong, Bangladesh] Le long de la route qui longe la côte, des dizaines de « casses » proposent les pièces récupérées. Outre l'accastillage, il y a des dépôts pour les canots, d'autres pour les bouées, les armoires, les lits… Jugés trop sensibles, les équipements de navigation électroniques (sondeur, radar, GPS), les radios et les talkies-walkies ont déjà été saisis par la Navy.


[Chittagong, Bangladesh] On peut trouver jusqu'à 7 tonnes d'amiante sur un vieux cargo. Le paquebot ex-France en contenait 900 tonnes, et il a été démantelé en 2007 en Inde. C'est là aussi que devait échouer le porte-avions Clemenceau, avec plus de 500 tonnes d'amiante. Grâce à la campagne de protestation de Greenpeace, l'opération a finalement été réalisée au Royaume-Uni, en toute sécurité.
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LES PHOTOGRAPHES ZEPPELIN
Géographes et photojournalistes, Bruno VALENTIN et Julien PANNETIER ont fondé ZEPPELIN en 2008. Ils voyagent pour comprendre comment les Hommes gèrent et utilisent l'espace. Ils travaillent main dans la main pour réaliser des reportages et les proposer à la presse française et internationale. Du golfe du Bengale à l'aiguille du Midi, des moines de la Grande Chartreuse aux officiers de la Marine nationale, ils signent toutes leurs images ZEPPELIN.