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CRABES BLEUS L'INVASION
CANET, LA PALME, ST-CYPRIEN, PORT-LA-NOUVELLE, LEUCATE ET BANYULS, OCCITANIE, FRANCE © NICOLAS CORTES / AGENCE ZEPPELIN
« Ce que nous avons vu là-bas nous fait très peur », confie Christophe sous ses traits burinés et tatoués. Pêcheur entre terre et mer, il voulait voir la catastrophe que représente le Crabe bleu en Espagne. En 2017, il découvrait la même créature chez lui, dans les lagunes près de Narbonne, et trois ans plus tard, les captures ne se comptaient plus en nombre d'individus, mais en tonnes. Agressif et sans prédateur, le Callinectes sapidus colonise un à un les étangs des côtes françaises, s'adaptant aux variations saisonnières, et écrasant la biodiversité sur son passage. Qualifiée « d'envahissante », l'espèce inquiète les pouvoirs publics qui tentent de valoriser ses qualités gustatives tandis que les pêcheurs retrouvent leurs filets dévastés. L'animal est dur à cerner, mais il faut réagir vite pour sauver ce qui peut encore l'être.
LA BIODIVERSITÉ EN PÉRIL
[La Palme, France] En septembre 2017, les premiers spécimens de Crabe bleu sont trouvés dans les étangs de Canet et de La Palme, mais personne ne s'alerte. Un an plus tard, l'Observatoire océanologique de Banyuls confirme la présence du Callinectes sapidus. En septembre 2020, les captures ne se mesurent plus au nombre d'individus, mais en tonnes. Ici, en temps normal, on pêche le loup, la dorade et même l'anguille.





[La Palme, France] Le Crabe bleu est vorace et très agressif. Il a une espérance de vie de 4 à 5 ans et grossit très vite, sa carapace pouvant atteindre 23 centimètres et dépasser les 500 grammes. C'est d'ailleurs le problème majeur, puisqu'en atteignant l'âge adulte, il n'a plus de prédateur dans les lagunes. Le poulpe et la seiche peuvent chasser l'espèce, mais ils vivent en mer. Et leur population, même si elle n'était pas victime de la surpêche, ne suffirait pas à venir à bout de tous ces crabes. Elle ne peut que les contenir.


[Canet-en-Roussillon, France] Originaire d'Amérique du Nord, le Callinectes sapidus signifie littéralement « bon nageur savoureux ». Introduit accidentellement en Méditerranée par transport maritime dans les eaux de ballast, il a été repéré en 1900 en France. Réapparu dans les années 1960 dans l'étang de Berre, il disparaissait à nouveau des radars. Ce n'est que depuis 2016 qu'on le revoit dans l'Hexagone. Considéré comme une « espèce envahissante », il se déplace rapidement et peut nager 15 km par jour. Les femelles, reconnaissables à la couleur rouge de leurs pinces, peuvent pondre jusqu'à 2 millions d'œufs.
LES PÊCHEURS AUX PREMIÈRES LOGES  
[Canet-en-Roussillon, France] Membre du Comité régional de pêche (CRP), Thomas photographie Jean-Claude en train de poser ses filets. Ces photos nourrissent des rapports scientifiques, mais elles sont aussi publiées sur les réseaux sociaux pour informer le grand public. Il s'agit de comprendre l'infestation du Crabe bleu, et à terme, de l'endiguer. À Canet, le CRP a commandé les filets bruts, et ce sont les pêcheurs eux-mêmes qui les ont montés. À La Palme, les pêcheurs ont préféré avoir des verveux déjà prêts.





[La Palme, France] Très agressif, le Crabe bleu est difficile à attraper. Avec ses pinces, il cause d'importants dégâts sur le matériel de pêche et s'attaque à tout. Les restaurateurs qui souhaitent le proposer sur leur carte savent qu'il faut le manipuler avec précaution. Il leur est conseillé de mettre l'animal dans de la glace afin qu'il entre en état léthargique. Les pêcheurs, eux, doivent faire très attention avant de ligaturer les pinces.


[Canet-en-Roussillon, France] Jean-Claude Pons est l'un des derniers pêcheurs traditionnels d'anguilles de l'étang de Canet. Il est le premier a avoir lancé l'alerte sur le Crabe bleu, et à ses yeux, c'est un désastre : « Ça met en péril toute la filière de l'anguille dans les lagunes catalanes. Déjà que le marché était compliqué, mais avec l'arrivée de ce crabe, les pertes sont encore plus importantes », s'exclame le pêcheur.


[La Palme, France] Durant l'hiver, aucune prise n'est faite et le Crabe bleu semble disparaitre. Mais pour le moment, tout n'est qu'hypothèse car ce crabe s'adapte différemment à son habitat et aucune étude n'a été faite dans la région. Ce qui est sûr, c'est qu'en dessous d'une certaine température, l'animal reste sous la vase et ne sort pas. Il commence à s'animer au mois de mai, quand les températures se réchauffent. Les pêcheurs qui le capturent depuis 2019 utilisent des filets de pêche traditionnels en attendant des filets plus résistants, conçus à la mesure du prédateur.


[St-Cyprien, France] Jean-Claude a créé un système rond avec un maillage très large placé à l'entrée du verveux pour laisser passer l'anguille qui termine sa course dans un filet traditionnel, mais qui empêchera le Crabe bleu d'y accéder. De l'autre, un filet plus résistant où le crabe peut entrer mais sans ressortir, avec un maillage assez gros pour que l'anguille, elle, puisse ressortir et ne pas rester coincée dans le même piège que le crabe. Le fait est que lorsque les crabes se retrouvent coincés dans les filets avec d'autres espèces, il y a souvent des dégâts importants, comme par exemple des anguilles qui coupées en deux.
INVENTER UNE NOUVELLE PÊCHE  
[Leucate, France] Dans le cadre d'une pêche expérimentale, Lucas Jaulent pose deux filets à proximité des parcs à huîtres. Ces filets de différents maillages lui ont été confiés par le Comité des pêches pendant deux ans. Les grandes mailles doivent piéger les Crabes bleus, tandis que les anguilles passeront au travers, avant d'être capturées dans le second filet qui comporte de plus petites mailles. L'important étant que les deux espèces ne soient pas mélangées.





[Port-la-Nouvelle, France] Les parties prenantes du projet de valorisation du Crabe bleu découvrent les nouveaux filets de pêche qui devront lui résister. De gauche à droite : Angélique Masvidal, animatrice du site Natura 2000 de La Palme, Kattalin Fortuné-Sans, cheffe du pôle biodiversité au Parc naturel régional de la Narbonnaise, Thomas Serrazin, chargé de mission au Comité régional des pêches maritimes, et Lucas Jaulent, pêcheur et conchyliculteur à Leucate.


[Port-la-Nouvelle, France] Les pêcheurs ont déjà placé des filets traditionnels dans l'étang de La Palme. Ils discutent avec Angélique Masvidal (Natura 2000) pour lui montrer où il serait intéressant de poser les nouveaux filets. L'autre objectif du Parc naturel est de mettre en relation les pêcheurs présents ce jour-là avec des restaurateurs locaux, qui utilisent des produits régionaux et qui sont ouverts toute l'année. L'idée est de valoriser le Crabe bleu dans un circuit très court.


[Leucate, France] Les conchyliculteurs ont été avertis de la présence du crabe au niveau du grau, c'est-à-dire dans le chenal qui relie l'étang à la mer. Or dans celui de Leucate, la profondeur peut atteindre 3,50 mètres, ce qui rend cette lagune beaucoup plus tempérée que celle de La Palme, et donc propice à l'installation du Crabe bleu.


[Leucate, France] « Pour le moment, nos élevages d'huîtres ne sont pas touchés. Dans le delta de l'Èbre, ils en sont à leur 9ème année en présence du crabe, et leurs huîtres ont commencé à être touchées vers la 6ème année », confie Christophe qui s'inquiète de connaître le même sort que ses voisins catalans.
COMPRENDRE CE NOUVEAU PRÉDATEUR  
[Banyuls-sur-Mer, France] Sortis du congélateur, des Crabes bleus juvéniles sont observés au microscope. Il s'agit de connaître leur alimentation à différentes étapes de leur vie. D'après Pascal, au début ils seraient carnivores, et après plutôt omnivores.





[Banyuls-sur-Mer, France] L'objectif de Pascal est de caractériser les traits de vie du Crabe bleu. Quelle est son alimentation ? Comment réagit-il aux variations thermiques ? Quels parasites transporte-t-il ? Combien de mues ? Préfère-t-il l'eau douce ou l'eau de mer ? Tout cela est testé dans des aquariums en circuit ouvert. Ici, il étudie son comportement en variant l'eau de 8°C à 30°C. Les premiers travaux montrent que le crabe est plus actif à des températures chaudes, laissant penser que l'hiver, il peut entrer en hibernation, sans manger pendant 5 mois. L'idée est de savoir si, une fois qu'il se sera adapté aux lagunes de la région, son mode de vie diffèrera de ceux que l'on rencontre dans le delta de l'Èbre.


[Lieu, Pays] L'objectif de Pascal est de caractériser les traits de vie du Crabe bleu. Quelle est son alimentation ? Comment réagit-il aux variations thermiques ? Quels parasites transporte-t-il ? Combien de mues ? Préfère-t-il l'eau douce ou l'eau de mer ? Tout cela est testé dans des aquariums en circuit ouvert.


[Banyuls-sur-Mer, France] En septembre 2020, les crabes ont été mis en aquarium. L'eau était déjà fraîche, et rapidement, les mâles et les femelles se sont regroupés. Ils ont commencé à faire une sorte d'accouplement, chaque mâle venant se placer au dessus d'une femelle. Ils restaient tout le temps par deux, mâle et femelle. On appelle cela la « promenade pré-nuptiale » : un mâle et une femelle se choisissent sans forcément s'accoupler, mais le mâle défend sa femelle contre les autres mâles, et à l'issue ils s'accouplent. Ensuite l'hiver est arrivé, et les crabes sont tombés en léthargie.


[Lieu, Pays] Identifiés au feutre, les crabes seront disséqués plus tard pour comprendre leur régime alimentaire et les parasites qu'ils véhiculent.
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LE PHOTOGRAPHE NICOLAS CORTES
De la Guadeloupe en 2017 à l'Indonésie en 2019, de la Cisjordanie à l'Amazonie en 2021, Nicolas multilplie les grands reportages avec un prisme social. En 2020, il rejoint l'agence de presse Zeppelin, et part 5 mois plus tard au Soudan pour faire la lumière sur l'exil des Éthiopiens qui fuient les massacres dans la région du Tigré. En 2022, il s'installe à Beyrouth pour travailler dans le Moyen-Orient. Au début de l'invasion russe en Ukraine, il part couvrir les événements avec la journaliste Inès Gil. De l'ouest à Kiev, ils passent 6 semaines sur place. Après le départ des troupes armées de la capitale, ils documentent le massacre de Bucha.