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FRAMBOISE DE THURINS DERNIÈRE PART DU GÂTEAU
THURINS, RHÔNE, FRANCE © ANTOINE MERLET / AGENCE ZEPPELIN
Adorée, cajolée et pourtant déchue, la framboise de Thurins illustre un monde en plein bouleversement, accrochée aux falaises friables de la production de masse, du dérèglement climatique, de la mondialisation et du changement de société. Produit dans les verdoyants monts du Lyonnais, ce fruit délicat ne coule pas d'un long fleuve tranquille. Après deux décennies de gloire, la framboise de Thurins décline sévèrement. En proie aux parasites, aux canicules et à la concurrence internationale, ses producteurs préfèrent désormais la cultiver hors sol, et sous serres. Un gageüre pour les gens de la terre qui, comme pour la tomate, ont de plus en plus de mal à répondre aux exigences des consommateurs. Reportage sur un « champ de bataille ».  LIRE LA SUITE
LA « CAPITALE DE LA FRAMBOISE »
Située entre 306 et 791 mètres d'altitude, la commune de Thurins englobe une partie des monts du Lyonnais, un paysage verdoyant de moyenne montagne. Bien adaptée au sol drainant et plutôt acide, la culture des framboisiers se heurte parfois à la topographie qui ne permet pas toujours aux arboriculteurs de la développer comme ils le souhaiteraient. Aujourd'hui d'ailleurs, ils sont essentiellement cultivés hors sol, sous serres.





Si la production de framboises est dispersée sur le territoire hexagonal, la région Auvergne-Rhône-Alpes arrive largement en tête en contribuant à 35 % des volumes produits pour le marché du frais. Proclamée « capitale de la framboise » dans les années 1980, Thurins réalise quelque 10 % de la production nationale.


Sise à une quinzaine de kilomètres de Lyon, la commune de Thurins abrite 3111 habitants en 2020. Croissante depuis les années 1940, sa démographie demeure peu dense avec 160 hab./km². Rurale, la commune comptait environ 70 exploitations agricoles dans les années 2000, mais l'effectif a diminué depuis.
UNE AGRICULTURE DÉSENCHANTÉE
Jocelyne Brun et Jean-Luc Blanc effectuent le blanchiment des serres pour fournir un ombrage adéquat aux cultures de framboisiers. Elle conduit le tracteur contenant de l'Ombraflex pendant qu'il en pulvérise sur les toits en plastique transparent. Non nocif, ce travail est néanmoins fastidieux car les éclaboussures de chaux sont très salissantes. Associés en GAEC avec leurs conjoints respectifs, ils exploitent 1,5 hectare de tunnels agricoles. En 20 ans, ils sont passés d'une culture en pleine terre à ciel ouvert, à une culture hors sol sous serre.





Le système d'irrigation permet de distribuer simultanément de l'eau et de l'engrais avec de multiples vannes. Grâce à ce procédé appelé « fertigation », l'agriculteur peut ajuster précisément l'apport nutritionnel de chaque plant de framboisier – ici cultivé hors sol – tout en économisant beaucoup du temps.


Éric Dominique vérifie le système d'irrigation de son exploitation. Des électrovannes lui permettent de contrôler l'apport d'engrais à chaque plant de framboisier. Depuis les années 2000, la culture sous serre et hors sol est devenue le seul modèle viable pour que les Thurinois puissent encore répondre à la demande de framboises.
DES PLANTS CHOYÉS
Irrigués par de fins tuyaux blancs, des framboisiers de première année croissent pendant quelques mois avant d'être coupés au ras de la terre. Cette « culture en cycle biannuel » permet aux plants de se renforcer. Ainsi, la deuxième année, les tiges sont plus fortes pour supporter le poids des feuilles et des fruits mûrs. Ici, surélevés au second plan, on distingue aussi des plants de fraisiers.





Jean-Marc Blanc vérifie un piège composé de capsules de phéromones pour attirer et tuer la Cécidomyie du framboisier, une petite mouche qui vient pondre dans les anfractuosités de l'écorce du framboisier d'où la larve va ensuite parasiter le bois, pouvant à terme faire mourir le plant.


Un saisonnier effectue le second « édrageonnage » sur des framboisiers. Avec un sécateur, il retire les « cannes » superflues, ces tiges rigides qui portent les branches. Il s'agit in fine de n'en laisser que 4 ou 5 par pot afin d'espérer avoir une bonne récolte.


Au milieu des années 1990, Éric Dominique était le plus gros producteur de framboises de la commune et ce, avant que le phytophthora, un champignon polyphage, ne ravage toutes les cultures.


Éric Dominique vérifie régulièrement l'absence de maladies et d'insectes ravageurs sur les framboisiers. Il tient dans ses mains un bouton floral qui annonce l'arrivée d'un fruit d'ici à deux mois environ.


Pour que chaque fruit existe, il faut que la fleur qui le précède ait été fécondée. Ainsi, lorsque les températures sont encore basses, des ruches d'abeilles ou de bourdons sont déposées sous les tunnels pour permettre la pollinisation. « Il faut cependant faire attention à ne pas surpolliniser car cela produirait l'effet inverse. Et le framboisier est très attractif pour un insecte pollinisateur », avertit Jean-Marc Blanc, arboriculteur à la retraite.


Les fleurs de framboisier sont très attractives pour les abeilles et les bourdons car elles produisent beaucoup de nectar avec un taux élevé de sucre et ce, « plus encore que sur un fraisier », précise Jean-Marc Blanc, arboriculteur à la retraite. Ces insectes, en butinant les fleurs, transfèrent le pollen des étamines jusqu'au pistil. Cette fécondation assure la production de graines et de fruits.
LA DÉLICATE RÉCOLTE
Les membres du GAEC du Julinois et les saisonniers s'organisent pour commencer la récolte des framboises. Chaque cueilleur emporte avec lui un porte-plateaux, des plateaux et des barquettes.





Exigeante en main d'œuvre, la cueillette des framboises n'est pas une mince affaire. « Il ne faut pas les déposer une par une dans les barquettes. Au contraire, il faut en ramasser plusieurs, tout en ayant les yeux rivés sur la prochaine à cueillir, sans les écraser dans la main », explique Jean-Marc Blanc.


Au début de son contrat d'embauche, chaque saisonnier est à l'essai pendant 3 jours : il doit remplir 4 plateaux de framboises (soit 4 kg) par heure. Ensuite, on ne lui demande plus de rendement particulier (ni rapidité, ni précision). De leurs côtés, les cueilleurs les plus expérimentés parviennent à remplir 8 plateaux par heure.
GÉRER UN PRODUIT FRAIS
Martine et Jean-Luc Blanc, membres du GAEC du Julinois, cueillent des framboises dans un tunnel.





Jocelyne Brun, membre du GAEC, pèse les barquettes de framboises pendant qu'une saisonnière pose un couvercle sur chaque barquette. Une barquette doit contenir 125 grammes de framboises. « Il est important de bien disposer les framboises dans les barquettes pour faire envie au consommateur », insiste Jocelyne. Les framboises ne sont pas cueillies lorsqu'elles sont complètement rouges. Les arboriculteurs savent qu'elles continuent de mûrir dans la barquette, aussi préfèrent-ils les récolter « légèrement oranges ».


Jean-Luc Blanc et un saisonnier chargent les plateaux de framboises à l'arrière d'une camionnette. Direction : la coopérative fruitière Sicoly chargée de les distribuer. Collée sur chaque couvercle, une étiquette assure la traçabilité du produit. Elle indique le producteur, mais aussi la parcelle sur laquelle les framboises ont été cueillies. En complément, la loi oblige les membres du GAEC à tenir à jour un cahier d'exploitation : on y retrouve tous les travaux et toutes les interventions qui ont eu lieu sur la parcelle.


Brigitte Dominique fait de la confiture avec les framboises abîmées ou peu présentables. Elle utilise une marmite en cuivre pour mieux répartir la chaleur et ne pas brûler les fruits. Une fois cuite, la confiture brûlante est versée dans des pots en verre rapidement fermés, puis retournés. L'air emprisonné se refroidit et se comprime, créant progressivement un vide d'air et, in fine, l'étanchéité du couvercle.


Fraîches ou transformées en confiture, les framboises sont distribuées par la coopérative Sicoly. Créée en 1962, cette structure associe plusieurs producteurs pour valoriser leurs fruits sur le marché lyonnais. C'est d'ailleurs au début des années 1980, suite à une trop grande production de framboises, que la coopérative a décidé de les congeler – une démarche pionnière pour le marché fruitier de l'époque.
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LE PHOTOGRAPHE ANTOINE MERLET
Photoreporter indépendant, Antoine travaille pour la presse régionale et nationale. Après avoir donné des cours de sport pendant cinq ans, il s'est engagé dans le journalisme, orientant ses travaux vers les luttes sociales. Il aime prendre le temps de comprendre un sujet avant de s'y engouffrer. Exposé aux Rencontres d'Arles en 2017, à la Galerie VU' en 2020, et projeté au festival Visa pour l'image en 2021, il sait sortir de sa zone de confort pour travailler avec des rédactions comme M Le Monde, Télérama, Le Figaro, Libération, La Croix, ou encore Vice.