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MARLBOROUGH SOUNDS DU RURAL IODÉ !
MARLBOROUGH DISTRICT, NOUVELLE-ZÉLANDE © OLIVIER KARCHER / AGENCE ZEPPELIN
C'est un rivage qui n'en finit pas. Une dentelle de collines et de vallées submergées par le Pacifique. Du monde, les Marlborough Sounds semblent être le nombril. Un dédale de presqu'îles verdoyantes, avec un habitant seulement par kilomètre carré, vingt fois moins que dans le reste de la Nouvelle-Zélande. L'élevage des moutons et la mytiliculture y sont les principales activités. Et c'est l'école, que certains mettent 75 minutes à rejoindre en voiture, qui fédère cette communauté embrassée par l'océan.

La famille Moleta vit à Titirangi Bay : sur 1500 hectares abruptes, Debbie et Noel élèvent 7000 moutons, mais aussi des vaches angus, ainsi que les fameuses Moules vertes qui font la réputation de l'archipel. Aujourd'hui, leur fils Braden et son épouse Nici reprennent les rênes de la ferme. Plus à l'ouest, à Forsyth Bay, Galvin et Natalie ne sont pas aussi optimistes. Leur entreprise de réparation de bateaux en bois périclite, tandis que leurs enfants préfèrent vivre à proximité des villes. Au sein des Marlborough Sounds, les destins comme les reliefs ont leurs caprices.
Une terre de pâturages
7h30. Trois bergers se retrouvent au point de rendez-vous qui domine Guards Bay et l'immensité Pacifique. Il s'agit de rassembler un troupeau de moutons, dispersés sur plusieurs dizaines d'hectares, afin de les mener à la bergerie. À l'horizon se dessinent les îles de Forsyth, Nukuwaiata et D'Urville. Un spectacle grandiose que Braden, Rory et Niki ne se lassent pas d'admirer.

Les Marlborough Sounds s'étendent sur près de 3400 km², dont un tiers est recouvert d'eau. Situé à moins de 40 kilomètres de la capitale Wellington, cet « arrière-pays » fait figure de no man's land. En effet, si l'on omet les villes de Picton et de Havelock, respectivement 4880 et 640 habitants, on ne recense plus que 1300 âmes sur 1200 km² de terres émergées. Du rural oui, mais iodé !

Pour les bergers en général, et sur ces reliefs escarpés en particulier, la participation des chiens est essentielle. Avec quelques mots et quelques sifflements distincts, leurs maîtres dirigent rapidement ces compagnons de bas en haut des collines, autour des moutons, pour les conduire vers la sortie de la parcelle. Mais même avec des chiens aguerris, ce travail est parfois fastidieux, tant sont pentues les collines, profonds les ruisseaux et denses les broussailles : il faut s'assurer qu'aucun mouton ne soit oublié dans un repli du paysage.

Une fois le troupeau rassemblé dans les enclos de la bergerie, installée en contrebas, l'équipe s'emploie au triage. Noel est là pour donner un coup de main. À plus de 60 ans, l'homme se retire progressivement de la gestion quotidienne de la Waitui Farm. Installée en 1977, cette exploitation est vouée à l'élevage ovin, mais aussi bovin. Noel et Debbie élèvent plusieurs centaines de vaches angus, appréciées pour leur viande persillée. Race prestigieuse originaire d'Écosse, l'angus s'est bien adaptée au climat local, mais ses besoins en eau et la raideur des collines limitent la taille du troupeau : quelques centaines, contre près de 7000 moutons.

Certains moutons partiront bientôt à l'abattoir, mais il y a quelques mois, de violentes intempéries ont endommagé la seule route d'accès à cette partie des Marlborough Sounds, l'isolant un peu plus du reste du pays. Si les véhicules légers peuvent de nouveau emprunter cette voie, les moutons devront encore être expédiés par barges. D'autres moutons retrouveront bientôt les collines pour y paître, notamment les jeunes agneaux, les brebis encore fécondes et quelques mâles vigoureux.
Le rassemblement des moutons se poursuit malgré des bourrasques à plus de 70 km/h. Niki, bergère, donne des instructions à plusieurs de ses chiens. Dans ces collines très escarpées, les chiens représentent un véritable atout : ils peuvent facilement et rapidement monter et descendre les pentes pour rassembler les bêtes isolés. En arrière-plan, on distingue le Puzzle Peak qui culmine à 735 mètres d'altitude. © OLIVIER KARCHER / AGENCE ZEPPELIN
La mer nourricière
Bien que l'élevage des moutons soit l'une des principales activités des zones rurales néo-zélandaises, en particulier dans les Marlborough Sounds, d'autres activités se tournent le plus souvent vers l'océan. Ici, la succession de bras de mer permet la culture de la Moule verte de Nouvelle-Zélande (Perna canalicula), connue sous le nom de greenshell, bien plus grande que la Moule commune, et largement exportée sur différents continents. Debbie et Noel possèdent ainsi quelques parcs mytilicoles autour de leur ferme. En ce début mars, Noel constate que les moules sont parvenues à maturité, et la récolte, à l'aide de bateaux ad hoc, va bientôt commencer.

À quelques baies de la ferme de Debbie et Noel se trouve celle de Galvin et Natalie, encore plus isolée, puisqu'elle n'est accessible que par bateau. C'est un endroit hors du temps, propriété de la famille de Galvin depuis plus d'un siècle, où l'on a l'impression que la modernité n'a pas de prise. Pendant longtemps, sa famille a vécu de la restauration de bateaux traditionnels en bois avec, le plus souvent, des outils d'époque : dans l'atelier de Galvin, un magnifique bateau attend d'être restauré depuis des années. Mais le couple ne se sent plus l'énergie de poursuivre ces chantiers. Alors ils vivent de peu : quelques moutons, chèvres et poules, un peu de pêche, un jardin potager. Avec eux, c'est toute la population des Marlborough Sounds qui vieillit : le dernier recensement national de 2018 indique une moyenne d'âge de 52 ans, contre 37 ans pour l'ensemble du pays. Et les moins de 30 ans représentent seulement un tiers de la population locale.

Pour les seconder, Natalie et Galvin font régulièrement appel à des woofers, des volontaires de tout pays qui acceptent de travailler gratuitement quelques heures par jour sur des fermes traditionnelles, en échange de la nourriture, du logis, et de la possibilité de profiter des lieux. Ainsi, trois jeunes Danois sont arrivés il y a quelques jours par le bateau de la poste. Ce midi, après avoir aidé à la ferme, ils se préparent à faire une sortie en kayak.

Ce même jour, Rory et Niki, les employés de Waitui Farm, sortent eux aussi en mer pour une partie de pêche. En couple dans la vie, ils attraperont trois vivaneaux, une grande sériole d'un mètre de long, et – par accident – deux petits requins qu'ils relâcheront aussitôt. Ici, la pêche est à la fois un loisir et un réel moyen de se nourrir. Les eaux des Marlborough Sounds sont très poissonneuses, et on y trouve aussi des orques, des phoques et des pingouins.
Devant le smartphone de Niki, Rory prend la pose avec la grande sériole (kingfish) qu'il vient de pêcher. Ce jour-là, ils ramèneront également 3 vivaneaux (snappers) qui assureront quelques repas à venir. © OLIVIER KARCHER / AGENCE ZEPPELIN
L'importance du lien social
L'isolement de ces fermes limite fortement les relations sociales, mais ne les empêche pas. Il se passe rarement plusieurs jours sans croiser quelqu'un d'extérieur à la ferme : des ouvriers qui viennent faire une réparation ou mettre en place de nouvelles clôtures, la factrice, un voisin qui passe dire bonjour, un fermier à qui l'on achète quelques avocats.

Et puis il y a l'école du coin… à plus d'une heure de route. Cette année, l'établissement scolaire de Waitaria Bay accueille 18 élèves au bord d'un des bras de mer des Marlborough Sounds. Ce mardi après-midi, après les cours, un petit événement a lieu : trois ou quatre fois par an, la directrice propose aux parents volontaires de donner un coup de main à l'entretien de l'école : nettoyage des bâtiments, entretien du jardin, tri des archives, etc. Convivial, ce volontariat se finit le plus souvent par un apéritif sur l'herbe avec les enfants. L'occasion pour les habitants de passer du temps ensemble et de mieux se connaître, mais aussi une manière de réduire les coûts de fonctionnement de l'école. Pour améliorer ses finances, des parents offrent également de jeunes agneaux qui paissent dans les prés de l'école avant d'être revendus, ainsi que des graines et des plants que d'autres parents peuvent acheter à prix libres. L'école est toujours preneuse de bonnes idées pour financer ses activités.

Luca, bientôt cinq ans, commence à fréquenter cette école une fois par semaine, pour s'habituer. Il est l'un des petits-fils de Debbie et Noel. Ses parents, Braden et Nici, reprennent aujourd'hui l'exploitation, mais lui, une fois adulte, que fera-t-il ? Restera-t-il dans cet endroit magnifique mais isolé, ou s'installera-t-il plus près de la ville ? Pour l'heure, dans la douceur d'une fin de journée sur la plage, Luca n'est intéressé que par ramasser des coquillages avec son grand-père. La vie n'est assurément qu'une succession d'opportunités.

Olivier Karcher
LE PHOTOGRAPHE OLIVIER KARCHER
Formé en sciences politiques et au commerce, Olivier alterne missions de conseil et emplois de saisonnier. Il a beaucoup voyagé pour le travail et pour le plaisir (Moyen-Orient, Amérique, Océanie, Asie du Sud-Est). C'est au cours d'un long séjour humanitaire en Thaïlande qu'il prend goût à la photographie. De retour en France, il suit un workshop Zeppelin sur le photojournalisme. Il s'intéresse particulièrement à la jeunesse, ainsi qu'à observer la vie ordinaire dans des lieux qui ne le sont pas.