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MAYOTTE EN CRISE SANITAIRE PERMANENTE
CENTRE HOSPITALIER DE MAYOTTE, MAMOUDZOU, FRANCE © GUILLAUME PETERMANN / AGENCE ZEPPELIN
Le 31 mars 2011, Mayotte devient le 101ème département de France. Une date majeure pour l'île accédant au statut tant attendu depuis le référendum de 1975 et sa scission avec l'archipel des Comores. Mais une décennie plus tard, la situation est amère, et la petite île de l'océan Indien, située à l'entrée Nord du canal du Mozambique, reste très éloignée du territoire national, notamment en matière sanitaire. Ici, les indicateurs de santé sont tous dans le rouge : une offre de soins sous-dimensionnée, des obstacles à l'accès aux soins et à l'assurance maladie ou encore le recrutement difficile de médecins ne sont que quelques exemples qui viennent compléter un tableau déjà bien noir : une espérance de vie bien plus inférieure qu'en métropole, une surmortalité infantile et maternelle, une prévalence élevée du diabète et des maladies infectieuses et parasitaires.
Une démographie bousculée

Ici, le Centre hospitalier de Mayotte (CHM) à Mamoudzou, chef-lieu du département, assure l'essentiel des soins pour une population estimée à 250 000 habitants officiellement, le double officieusement. Pas étonnant que l'unique hôpital de l'île fonctionne en permanence au-delà de ses capacités techniques et humaines. En effet, avec une moyenne de 4,7 enfants par femme (Insee, 2019), le département, en plus d'être le plus jeune de France avec une moyenne d'âge de 23 ans contre 41 ans en métropole (Insee, 2017), a les taux de fécondité et de croissance démographique les plus élevé du pays. Cela vaut d'ailleurs au CHM le titre de plus grande maternité de France avec une trentaine d'accouchements par jour. À ce dynamisme démographique porté en grande partie par des mères de nationalités étrangères, comoriennes pour la plupart, qui donnent naissance aux trois quarts des bébés nés sur l'île, s'ajoutent les milliers de « voisins » comoriens qui arrivent chaque année dans l'espoir d'une vie meilleure en terre française. Ces flux migratoires, à la fois clandestins et sanitaires, font de Mayotte le département français accueillant aujourd'hui la plus forte proportion d'étrangers dans sa population, soit près d'un habitant sur deux.

Sous-dimensionné, le système de santé local subit de plein fouet cet accroissement démographique et se précarise chaque jour un peu plus. À la maternité du CHM, il n'est pas rare de voir des mères transférées dans de petites maternités périphériques trois heures seulement après l'accouchement, afin de faire de la place. Pour mesurer la pression subie, le nombre de lits à Mayotte est de 1,6 lit pour 1000 habitants, alors que la moyenne nationale tourne autour de 6 lits pour 1000 habitants. Cadences infernales, sursollicitation, services saturés, accumulation de stress, sentiment d'abandon… C'est dans ces conditions harassantes que les 2600 personnes dont les 400 soignants travaillant au CHM font face à l'afflux croissant de patients et s'active quotidiennement à soigner la population sans distinction, assurée sociale ou non, pour qu'ils repartent en bonne santé. Malgré la mise en place d'un système d'incitation financière visant à attirer et fidéliser le personnel soignant, l'hôpital souffre d'une pénurie criante de bras dans tous les domaines et peine à recruter. Dans les couloirs du CHM, c'est la valse des médecins et infirmiers qui viennent majoritairement de métropole pour de courtes missions, de quelques semaines à quelques années, dissuadés de s'installer notamment par le manque de perspective lié à l'insécurité et la faiblesse du niveau scolaire.


Les moyens du bord

Ils sont jeunes, polyvalents et font leurs classes à Mayotte avant de repartir plein d'expériences. Ils traitent des pathologies graves et des urgences vitales dépassant souvent leurs compétences, normalement confiées à des spécialistes, et qu'ils n'auraient probablement jamais été amenés à traiter en métropole. Seules les agents des services hospitaliers (ASH) et les aides-soignantes sont mahoraises et doivent ainsi assumer le rôle fondamental d'interprètes entre les médecins et des patients arrivant souvent sans aucun suivi médical et ne parlant pour la plupart que le shimaore ou d'autres dialectes régionaux.

Une autre conséquence du manque de moyens est le nombre important d'évacuations sanitaires, communément abrégées « évasan », réalisées chaque année (environ 2000 hors Covid-19). En effet, ne disposant que de très peu de services spécialisés, le CHM n'a pas d'autre choix que de transférer les patients vers d'autres territoires français disposant de plateaux techniques plus adaptés. Ces évacuations sont par conséquent au cœur du dispositif de soin de l'île : chaque jour, des patients, français ou étrangers, nouveau-nés inclus, sont embarqués dans des avions privés spécialement affrétés, ou à bord d'avions de ligne vers Paris ou La Réunion pour être pris en charge.

À cette situation sanitaire déjà très difficile, l'insécurité et les violences à l'arme blanche ainsi que la pauvreté endémique (77% de la société mahoraise vit toujours en dessous du seuil de pauvreté contre 14% en France métropolitaine – Insee, 2018) ne viennent rien arranger. La présence d'innombrables bidonvilles, appelés localement « bangas », dépourvus d'accès à l'eau et d'installations sanitaires de base (toilettes, douches, électricité) accentue la pression sur le système de santé local en augmentant le risque de propagation de maladies, notamment parasitaire, infantile et maternelle ainsi que le risque potentiel de maladies épidémiques comme la dengue, la fièvre typhoïde et la tuberculose. Ces conditions de vie aux allures de pays en développement touchent en grande partie les personnes en situation irrégulière, une population à la santé précaire ne bénéficiant pas de prise en charge sociale.


Un système à deux vitesses

Bien que le travail de plaidoyer mené par des organisations non-gouvernementales tels que Médecins du Monde ou le Secours Catholique (Caritas France) ait rendu gratuit l'accès aux soins à l'hôpital et dans les dispensaires pour les femmes enceintes, les enfants et les personnes nécessitant de soins « urgents », sans aucune condition de régularité de séjour (ordonnance de 2012), de multiples barrières persistent toujours : contrôles de la Police aux frontières près des lieux de soins, incompréhension du fonctionnement de la prise en charge médico-sociale, multiplication de documents nécessaires, barrière de la langue… Tout cela génère de nombreux cas de renoncements aux soins qui se traduisent souvent par des prises en charges tardives aux conséquences parfois dramatiques. En matière de protection sociale, la législation française ne s'applique pas à Mayotte où un régime dérogatoire a été mis en place.

La Complémentaire santé solidaire (anciennement la CMU-C) et l'Assistance médicale d'État (AME) n'existent pas. Seule la moitié des habitants a accès à la sécurité sociale et les mutuelles sont peu développées. Ce dispositif spécifique au département contribue à accélérer les entraves et les inégalités à l'accès aux soins, et à freiner le développement de l'offre de soins non hospitaliers. En effet, peu de spécialistes et de médecins libéraux complètent l'offre de soins. Il y a à peine 20 médecins généralistes sur toute l'île. Pour certaines spécialités, l'offre est encore plus limitée. Il y a par exemple dix dentistes, seulement 2 ORL, 2 orthophonistes et aucun ophtalmologiste.

Les délais d'attente sont donc extrêmement longs et ceux qui en ont les moyens vont se faire soigner ailleurs, à La Réunion ou en métropole, creusant encore plus les inégalités et créant un système de soins à deux vitesses. Dans les dispensaires et centres de santé disséminés sur l'île, seules les pathologies mineures sont traitées. Le flux de patients, dont la moitié sont des enfants, est si important que les files d'attente, de plus en plus longues, débutent avant le lever du jour et obligent parfois les soignants à trier les patients selon l'urgence et la gravité. Cet accès difficile aux soins a des conséquences allant du retard, dans le meilleur des cas, à l'absence totale de prise en charge. Dans ces conditions, certains patients renoncent à se faire soigner et arrivent ensuite malheureusement à l'hôpital dans un état de santé très dégradé.


Des soignants en itinérance

Dans un territoire fortement impacté par les pathologies graves ou chroniques, dépourvu de transports en commun, qui fait face à un réel problème de démographie médicale et où l'essentiel des soins est assuré par l'hôpital public, l'offre paramédicale des infirmiers libéraux et des kinésithérapeutes par exemple, joue donc un rôle majeur dans l'offre et l'accessibilité aux soins. La contribution des professionnels de santé itinérants est essentielle pour les patients, souvent isolés, notamment les personnes âgées et ceux qui nécessitent des traitements et des examens réguliers. Sacs sur le dos, ils se rendent dans les endroits les plus difficiles d'accès pour rejoindre certains de leurs patients, empruntant des chemins de terre et des escaliers faits de pneus, et prodiguant des soins dans des cases en tôle ou dans la rue. Véritable vecteur de lien social, lorsqu'ils ne travaillent pas à perte, ils sont souvent amenés à renseigner sur les parcours médico-sociaux, traduire des documents, trouver des systèmes de tickets pour éviter aux personnes d'avoir à payer une consultation, etc. Sur le terrain, en plus de leurs activités de soins et de prévention, leur rôle dépasse largement leur mission et leurs compétences initiales, et pallie tant bien que mal les carences du système médico-social local.

Cela fait pourtant des années que l'ensemble des acteurs du secteur médical, social et associatif, alerte unanimement sur ces carences dans les dispositifs de santé qui renforcent les entraves à l'accès aux soins subies par les résidents. Pour autant, d'après ces différents acteurs, bien que Mayotte soit un département récent et difficile à appréhender, différents de par sa géographie, son histoire et sa culture, nombreux sont les palliatifs qui existeraient autant en amont qu'en aval pour améliorer l'offre et l'accès aux soins : une meilleure prévention et une meilleure éducation à la santé, l'amélioration des conditions sanitaires des habitants, le développement de la télémédecine ou encore le renforcement des stratégies mobiles de soins et la mise en place de Maisons de santé pluriprofessionnelles.

À l'heure actuelle, même si la crise de la Covid-19 n'a rien arrangé, elle aura au moins permis, en plus de la création récente d'une Agence régionale de santé (ARS), l'accélération de la construction du deuxième hôpital, situé à Petite-Terre, mais dont le nombre de places est actuellement très réduit et ne concerne que le service de Médecine.

Le récent développement de l'Hospitalisation à domicile (HAD) aura quant à lui permis de libérer des lits à l'hôpital et soulager, un peu, la pression hospitalière. L'implantation d'une Maison départementale pour personnes handicapées (MDPH) et le développement d'un réseau de Protection maternelle et infantile (PMI) auront eux aussi été des avancées indéniables récemment observées dans l'action sociale. Cependant, au vu de l'ampleur de la tâche et de la pression démographique toujours plus importante, la désertification médicale gagne inexorablement du terrain à Mayotte, accentuant toujours plus la situation sanitaire criante de l'île.

© GUILLAUME PETERMANN / AGENCE ZEPPELIN














LE PHOTOGRAPHE GUILLAUME PETERMANN
Photographe et graphiste de formation, Guillaume aime s'aventurer dans des zones difficiles d'accès à la rencontre de leurs habitants. Son travail s'articule essentiellement autour du photoreportage et couvre des thématiques aussi variées que le voyage ou le documentaire culturel, social et environnemental. Des montagnes du Pamir aux mines d'or artisanales de Guinée, en passant par la vallée de l'Omo en Éthiopie ou l'île de Socotra au Yémen, Guillaume cherche en permanence la meilleure lumière pour révéler l'âme de ses sujets.