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LE ROJAVA ASSIÉGÉ PAR LA SOIF
ROJAVA, SYRIE  •  PHOTOS © NICOLAS MATHYS / AGENCE ZEPPELIN  •  TEXTE © KHABAT ABBAS
Dans une Syrie entrant dans l'ère post-Assad qui prétendait mettre fin à une décennie de guerre, l'Euphrate, fleuve stratégique, s'impose comme la démarcation de deux entités, le miroir d'un pays fracturé. D'un côté, depuis Damas, les milices du groupe islamiste Hay'at Tahrir al-Sham (HTS) soutenu par la Turquie. De l'autre, la région autonome du Rojava, ou Administration autonome du Nord-Est Syrien (AANES). Dans cette région, l'eau est si rare qu'elle est désormais au cœur des enjeux politiques. Loin des champs de bataille, l'accès à cette ressource élémentaire amorce la nouvelle phase d'un conflit.  LIRE LA SUITE
[Tall Tamr, Rojava, Syrie] Un des ponts endommagés par une décennie de guerre civile enjambe la rivière Khabour, aujourd'hui asséchée, conséquence de la politique d'accaparement des ressources en eau par la Turquie et des sécheresses récurrentes. L'axe reliait la ville de Tall Tamr à la région de Serê Kaniyê (Ras al-Ayn), occupée depuis 2019 par les forces syriennes affiliées à la Turquie. La zone fait désormais office de ligne de front, où les mercenaires turcs et les Forces démocratiques syriennes (FDS) s'observent, secouées à l'occasion par l'incursion de drones et les tentatives d'infiltration venus du nord.





[En périphérie de Raqqa, Syrie] Un responsable des eaux de la ville de Raqqa présente les ruines de l'ancienne station d'épuration construite par l'ancien régime et inaugurée peu de temps avant la guerre civile. Utilisée par l'Armée syrienne libre (ASL) avant d'être supplantée par Daech qui l'utilisa comme base, elle fut bombardée par la coalition internationale. Les eaux usées sont donc rejetées directement dans l'Euphrate.


[Qamishlo, Rojava, Syrie] Depuis une ruelle de Qamishlo, ville de l'Administration autonome du Nord-Est Syrien (AANES), on observe à une centaine de mètres le drapeau turc flottant sur un mur de béton couvert de barbelés. Depuis 2015-2016, la Turquie d'Erdogan a mis en place un mur militarisé entre sa frontière sud et la Syrie, principalement avec les territoires contrôlés par les Forces démocratiques syriennes (FDS).
UN LAC DISPARAÎT
[En périphérie de Tabqah, Syrie] Avec la sécheresse et la baisse du niveau de l'Euphrate, les conséquences sont également visibles en amont du fleuve, sur le lac éponyme (anciennement appelé « lac Assad »). Ici, dans cet ancien village de pêcheurs près de Tabqah, des promontoires de roche et de sable se découvrent au fur et à mesure sur le lac. La région a été victime de nombreux affrontements armés, et jusqu'à récemment avec les bombardements de drones turcs.





[En périphérie de Tabqah, Syrie] Firas a grandi sur les rives du lac Euphrate. « Le niveau de l'eau sous l'ancien régime atteignait encore les habitations du village. Maintenant pour aller pêcher, il faut aller plus loin », rapporte-t-il.


[En périphérie de Tabqah, Syrie] Les habitants continuent de venir profiter des abords du lac, mais « au fil des ans, le lac n'a cessé de reculer », témoigne Firas en montrant les coquillages qui jonchent ce qui était jadis recouvert d'eau.
L'AGRICULTURE EXSANGUE
[En périphérie de Tall Tamr, Rojava, Syrie] Un groupe de femmes et d'enfants récoltent des oignons dans un champ près de Tall Tamr sous un soleil caniculaire. Celles-ci font partie des populations déplacées de la région comprise entre Serê Kaniyê (Ras al-Ayn) et Tell Abya. Une zone occupée depuis 2019 par des forces militaires affiliées à la Turquie. Un territoire qui faisait également office de château d'eau pour tout le gouvernorat d'Hassaké. Ces populations déplacées occupent désormais les camps tels que celui de Washokani, ou encore les villages de communautés assyriennes abandonnés le long de la rivière Khabour, aujourd'hui asséchée. Quant aux hommes déplacés, la plupart cherchent du travail dans les villes déjà surpeuplées.





[En périphérie de Tall Tamr, Rojava, Syrie] Haitam supervise la récole sur des terres qu'il exploite en fermage. « Ici avant, on cultivait du coton et du blé en abondance grâce au système d'irrigation fourni par Hassaké ou Serê Kaniyê, mais tous deux se sont arrêtés », se rappelle l'agriculteur. Maintenant que la Khabour est asséchée, il doit changer progressivement pour du cumin, de l'orge et des légumes (oignons, carottes). « Ces cultures consomment moins d'eau que le coton et le blé, mais aujourd'hui on dépend des puits, ce qui nécessite beaucoup d'énergie pour le pompage », explique-t-il. Haitham utilise des panneaux solaires pour pomper dans un puits d'eau non potable et irriguer ses cultures, mais les autres puits restent inutilisés par manque de carburant. Pour fournir de l'eau à sa famille, il commande un camion-citerne d'eau chaque semaine en provenance de la région d'Hassaké.


[Entre Tall Tamr et Hassaké, Rojava, Syrie] Samir et Amira Abraham sont un couple de fermiers assyriens, une communauté chrétienne du Nord-Est de la Syrie. Ils n'ont pas fui la guerre, et avec leurs proches, ils font partie des trois dernières familles restantes dans leur village, près de Tall Tamr. Derrière leurs champs, un bras de la rivière Khabour, désormais tarie, était utilisé pour l'irrigation jusqu'à la fin des années 1990. « Les puits construits à Serê Kaniyê permettaient ensuite, avec les quelques pluies, d'obtenir de l'eau pour continuer l'agriculture en été, mais aujourd'hui ce n'est plus possible », confie Samir. Ils n'utilisent leurs terres plus qu'en hiver pour un peu de blé et des légumes, faute d'eau et de moyens pour irriguer le reste de l'année. L'eau de consommation, elle, doit être importée par camion-citerne depuis que la station de pompage d'Alouk est occupée par la Turquie.


[En périphérie de Qamishlo, Rojava, Syrie] Un jeune garçon guide quelques buffles du troupeau familial sur les rives presque sèches et polluées d'un bras de la rivière Jaghjagh, à Qamishlo. Sa famille élève ces animaux depuis plusieurs générations, une activité héritée de leurs ancêtres venus d'Irak il y a plus de cinquante ans. Autrefois source de vie et d'abondance, la Turquie a coupé le flux du fleuve Jaghjagh et a commencé à y déverser ses eaux usées, ce qui a contaminé les eaux jusqu'à Qamishlo et entraîné la propagation de maladies.


[Entre Qamishlo et Hassaké, Rojava, Syrie] Depuis la fin des années 1990, la baisse du niveau d'eau pousse les éleveurs à déplacer leurs vaches gestantes ou taries, de mars à octobre, vers Raqqa. Là-bas, les pâturages des berges de l'Euphrate et l'eau sont encore accessibles. Mais avec la hausse des coûts de l'énergie, cette manœuvre forcée pèse sur leurs activités. Le lait de bufflonne de cette région reste très populaire pour produire du qarysha (un fromage typique) et du kimer, un mets traditionnel semblable au beurre qui symbolise l'identité de la ville.
DES BARRAGES AU RALENTI
[Barrage Euphrate, région de Tabqah, Syrie] Le responsable de la maintenance du barrage Euphrate surplombe la retenue d'eau. D'après lui, il y a trois ans, le niveau de l'eau atteignait encore la bande de couleur noire que l'on distingue, ci-contre, au milieu du béton.





[Barrage Freedom, région de Tabqah, Syrie] Les parois intérieures du barrage Freedom sont criblées d'impacts de balles. Cette infrastructure hydroélectrique, comme d'autres en amont de la ville de Tabqah, était aux mains de l'État Islamique, jusqu'à ce qu'en 2017, les Forces démocratiques syriennes (FDS) en reprennent le contrôle par les armes. Désormais, les craintes des forces de l'Administration autonome se concentrent sur les frappes aériennes (avions et drones), comme celle qui a visé le barrage de Tishreen en 2025.


[Barrage Euphrate, région de Tabqah, Syrie] Dans les entrailles du barrage Euphrate (ou barrage de Tabqah), cinq des huit turbines ne fonctionnent plus, conséquence de la réduction du niveau et du débit de l'eau en provenance du lac Assad. « Je ne me rappelle pas de la dernière fois où toutes les vannes ont été ouvertes », confie avec nostalgie un technicien. Ce barrage fait partie d'un réseau complexe qui comprend, entre autres, les barrages Freedom et Tichrine, afin d'irriguer et d'approvisionner en électricité toute la région.
AUX LIMITES DE L'ÉPURATION
[Barrage Euphrate, région de Tabqah, Syrie] Le barrage Euphrate figure parmi les infrastructures hydroélectriques sous le contrôle de l'Administration autonome. Mais la réduction du débit fluvial contraint à le faire fonctionner en sous-régime. Désormais, on attend beaucoup des pluies pour réapprovisionner les retenues d'eau, les nappes phréatiques et les rivières. Cependant, les précipitations s'amenuisent d'année en année, et 2025 était particulièrement sèche. Berivan Silo, co-présidente du comité gestionnaire de l'eau, confie à propos du barrage Saffan (un autre site, près de Qamishlo) : « Si les précipitations n'augmentent pas cette année, nous n'aurons plus qu'un an et demi, peut-être deux, avant que le barrage ne s'assèche complètement ».





[Raqqa, Syrie] Douze puits installés sur les rives de l'Euphrate alimentent la station principale de pompage et de traitement de la ville de Raqqa. L'eau y est captée à environ neuf mètres de profondeur, mais le recul du fleuve, aggravé par la sécheresse de l'été 2025 qui a provoqué un mois de pénurie, rend ces puits obsolètes (l'eau s'éloigne des pompes). Construites il y a plus de trente ans, elles nécessitent d'être remplacées : 25 doivent l'être pour un fonctionnement normal. Une opération coûteuse dans un contexte où les ressources manquent cruellement. Ci-contre, au centre gauche, on distingue une digue édifiée en 2023 pour diriger davantage d'eau vers la station.


[Raqqa, Syrie] Abdo Abdulkader, directeur de la station principale des eaux de Raqqa, présente le fonctionnement des cuves de stockage, du pompage au traitement et à la distribution de l'eau potable. Lorsque le niveau de l'Euphrate est trop bas, la station demande l'ouverture des vannes du barrage Freedom, en amont, mais celui-ci dépend lui-même du débit venu de Turquie. Selon un accord tripartite de 1987, la Turquie doit pomper de l'Euphrate vers la Syrie 500 m³/s d'eau, un engagement rarement respecté depuis la guerre civile. Or, la station nécessite 250 m³/s pour fonctionner normalement, alors qu'entre août et septembre 2025, le débit n'était que de 150 à 180 m³/s.


[Raqqa, Syrie] Autrefois immergées, des canalisations sont à sec, empêchant l'évacuation des déchets stagnants avec les eaux usées dans le fleuve. 80 % du réseau d'eau souterrain de la région étant vétuste, les fuites sont nombreuses. Or, de nombreux quartiers, les canalisations d'eau potable sont proches des systèmes d'égouts, contaminant ce qui reste à boire. Un risque sanitaire que le non traitement des déchets aggrave encore.


[En périphérie de Raqqa, Syrie] Le responsable d'une station d'épuration des eaux pour la campagne de Raqqa vérifie une cuve de traitement au chlore. Les autorités locales n'ont toutefois pas les moyens de procéder à un nettoyage régulier des canaux et conduits, ce qui accumule des résidus provenant des sols, entraînant la prolifération d'algues et l'attraction de poissons. Conserver l'eau potable est donc une difficulté.
L'EAU COMME UN MIRAGE
[Barrage d'Hassaké, Rojava, Syrie] Canal de jonction entre les retenues d'eau – aujourd'hui asséchées – des barrages Est et Ouest d'Hassaké. Approvisionné à l'origine par la rivière Khabour, ce canal s'est, aux dires des habitants, progressivement tari depuis 1997, bien que de l'eau ait été temporairement observée selon l'intensité des pluies ou les lâchers d'eau depuis la Turquie.





[Barrage d'Hassaké, Rojava, Syrie] La station de traitement des eaux et de distribution al-Hamma est aujourd'hui inactive. Destinée à la ville d'Hassaké, elle collectait l'eau pompée depuis la station d'Alouk, proche de la frontière turque et aujourd'hui occupée militairement par les forces affiliées à Ankara.


[Barrage Est d'Hassaké, Rojava, Syrie] Une estrade a été construite par les habitants au sein-même de la retenue d'eau du barrage Est d'Hassaké, aujourd'hui asséchée. Cette structure en béton est destinée à accueillir les festivités de Newroz, le nouvel an kurde, où l'on célèbre la vie et l'arrivée du printemps.
FORER… ET FORER ENCORE
[En périphérie d'Hassaké, Rojava, Syrie] Dans la campagne aride d'Hassaké, Mazkin Hamza Hussein, 53 ans, se dirige vers son appareil de forage en service. Originaire de Qamishlo, il exerce ce métier depuis 27 ans, hérité d'un oncle qui forait déjà dans les années 1960 : « Autrefois, il suffisait de creuser 200 mètres pour trouver de l'eau dans le canton de Jazîra ; aujourd'hui, il faut parfois descendre jusqu'à 400 mètres ». L'eau rejetée sur sa droite provient du puits en cours de construction, qui atteindra environ 250 mètres de profondeur. Ce forage, commandé pour un agriculteur local, devra alimenter une future exploitation de volailles et de petits bétails. Autrefois il y avait des champs de blé autour, mais avec la disparition de l'eau et le manque de pluies, les agriculteurs doivent s'adapter.





[En périphérie d'Hassaké, Rojava, Syrie] De l'eau boueuse s'écoule depuis le puits en creusement dans une mare artificielle, servant à évacuer les rejets. Faute de pluie depuis plusieurs années, les demandes de puits ont triplé, et les forages profonds remplacent désormais les anciens puits de surface qui sont eux tributaires des pluies de plus en plus rares. Rien qu'entre 1990 et 1995, Mazkin, se rappelle avoir construit plus de 400 puits. Mais depuis le début de la guerre, le nombre de foreur est tel que lui-même n'a achevé que 5 puits.


[En périphérie de Qamishlo, Rojava, Syrie] Derrière la machine, des dizaines de tubes en acier s'alignent, prêts à être descendus dans le puits qui ne devra théoriquement pas dépasser 450 mètres. À ces profondeurs, l'eau est souvent saumâtre et impropre à la consommation, et nécessiterait un traitement conséquent. De nombreux puits auraient été construits du côté turc au cours des dernières décennies afin d'extraire massivement l'eau des nappes. Côté Rojava en revanche, on constate que les nappes phréatiques s'épuisent de manière accélérée.


[En périphérie de Qamishlo, Rojava, Syrie] Des ouvriers s'activent à fixer un nouveau tube dans la foreuse. Le chantier fonctionne jour et nuit depuis plusieurs semaines. En parallèle, les ingénieurs du département de l'eau alertent : chaque année, le niveau des nappes baisse d'environ cinq mètres, tandis que la population de Qamishlo a triplé depuis le début de la guerre. Aujourd'hui, 75 % des ressources de la municipalité sont dédiées à tenter de résoudre cette crise de l'eau, certains projets ou services sont donc délaissés comme la maintenance des routes.


[En périphérie de Qamishlo, Rojava, Syrie] Dans la plaine aride, un tube émerge du sol : c'est la base d'un futur puits profond. Pour l'instant, les autorités locales misent sur ces forages pour tenir, mais elles s'inquiètent pour le long terme, en attendant le dénouement de négociations diplomatiques internationales bloquées par la Turquie. L'une d'elles vise à conduire de l'eau du Tigre vers Qamishlo et Hassaké, un projet coûteux. L'autre option, plus envisageable, serait la réhabilitation de la station de pompage d'Alouk occupée par les forces affiliées à la Turquie.
UNE KYRIELLE DE CAMIONS-CITERNES
[Shamouka, Hassaké, Rojava, Syrie] Dans la zone aride de Shamouka, au nord d'Hassaké, de nombreux camions-citernes parsèment le paysage en se réapprovisionnant auprès de plusieurs pompes installées par l'Administration autonome. C'est là l'une des deux seules sources d'eau potable fraîche d'Hassaké. Les eaux souterraines de la ville et de sa région sont saumâtres, et impropres à la consommation. Depuis que la Turquie a occupé Serê Kaniyê en 2019 et coupé l'approvisionnement en eau, les pompes tournent sans discontinuité à Shamouka. Aujourd'hui toutefois, le niveau de la nappe est extrêmement bas et ne suffit plus à répondre aux besoins d'une ville dépendante entièrement de ces livraisons – contrairement encore à Qamishlo ou à Raqqa. Face à la pénurie, des forages privés se sont multipliés, sans contrôle de la qualité, jusqu'à ce que l'administration intervienne aux portes d'Hassaké, pour éviter notamment la prolifération d'une épidémie de choléra.





[Shamouka, Hassaké, Rojava, Syrie] Un conducteur, juché sur son camion-citerne, surveille le remplissage du réservoir avant de reprendre la route vers Hassaké. Chaque jour, des dizaines de véhicules effectuent ce va-et-vient entre les points d'eau de Shamouka et les quartiers de la ville. La municipalité dispose d'environ quarante camions pour approvisionner les infrastructures publiques et les camps de déplacés internes, mais doit compter sur des opérateurs privés pour assurer la distribution, dont l'encadrement échappe souvent concernant les tarifs et la qualité d'eau.


[Hassaké, Rojava, Syrie] Aux abords d'Hassaké, un habitant remplit ses bidons à l'arrière d'un camion-citerne venu de Shamouka. C'est la seule source d'eau potable disponible pour les résidents, coûtant près d'un quart de leurs revenus et nécessitant plus de deux heures par jour pour collecter et transporter. L'eau pompée dans cette zone est parmi les rares encore « douces » : au-delà de 150 mètres de profondeur, la nappe devient saumâtre et impropre à la consommation. La population dépend presque entièrement de ces livraisons qui, en été, subissent de fréquentes pénuries.
TROP DE CHLORE DANS LES CAMPS
[Camp de déplacés internes de Washokani, Hassaké, Rojava, Syrie] Tôt le matin, les femmes se pressent pour récupérer leur ration quotidienne d'eau. Ce camp a été mis en place en 2020 suite au déplacement forcé des populations originaires des régions entre Serê Kaniyê et Tell Abyad après l'invasion des forces turques et ses milices syriennes. Aménagé par l'AANES avec l'aide d'ONG, il est équipé d'un réseau de réservoirs relié à une gigantesque cuve que des camions-citernes remplissent en permanence. En moyenne, 350 000 m3 d'eau sont renouvelés chaque jour.





[Camp de déplacés internes de Washokani, Hassaké, Rojava, Syrie] Au sein de murs en terre séchée survit une famille originaire de Serê Kaniyê. Quelques bidons d'eau s'entassent près du mur : leur trésor le plus précieux. Les ONG visent 50 litres par jour et par personne, mais la réalité est parfois plus inégale, et souvent bien inférieure. Ici, l'exil se reconstruit avec ce qu'on trouve : briques de boue, tôles, et la mémoire obstinée d'un territoire jadis verdoyant et traversé d'eau.


[Camp de déplacés internes de Washokani, Hassaké, Rojava, Syrie] Une femme montre ses mains crevassées : « Trop de chlore », dit-elle. Les ONG assurent que l'eau respecte les critères d'urgence humanitaire, mais les plaies parlent d'elles-mêmes. L'eau, chlorée à l'excès pour éviter les contaminations, irrite la peau et provoque souvent des diarrhées chez les enfants. Pour boire, beaucoup achètent des bouteilles, mais c'est un luxe dans un camp où les revenus sont précaires.


[Camp de déplacés internes de Washokani, Hassaké, Rojava, Syrie] Des enfants présentent la tente dans laquelle ils vivent : c'est ici qu'une partie de la famille dort, serrée entre tapis et coussins. L'espace manque, l'air est lourd, entre 45 et 50 degrés notamment sous le soleil durant l'été 2025.


[Camp de déplacés internes de Washokani, Hassaké, Rojava, Syrie] Derrière une tente, un trou relié à un tuyau de fortune sert à évacuer des eaux sales. Ce bricolage est tout ce qui sépare l'habitation du risque d'épidémie, dans un lieu déjà marqué par des cas de diarrhées et d'infections.
L'EAU, DE BALCONS EN BALCONS
[Hassaké, Rojava, Syrie] Sur le toit, le conducteur du camion ajuste le tuyau avant de lancer le remplissage du réservoir de la famille qui l'a contacté. Autour d'Hassaké, les nappes phréatiques qui ne sont exploitables qu'au nord de la ville, s'épuisent, et l'eau est impropre à la consommation au-delà de 100 à 150 mètres de profondeur, ce qui rend la potabilisation difficile et coûteuse.





[Hassaké, Rojava, Syrie] Sur les toits d'Hassaké, des dizaines de réservoirs rouges ponctuent le paysage. Chaque famille qui en a les moyens essaie de stocker quelques mètres cubes d'eau, achetée à un prix toujours plus élevé auprès des camions-citernes venant de Shamouka. Dans cette ville autrefois traversée par la rivière Khabour, l'accès à l'eau est devenu un enjeu quotidien. L'eau y est parfois chlorée, mais c'est l'une des seules alternatives depuis que la station d'Alouk est passée sous contrôle des forces affiliées à la Turquie en 2019.


[Hassaké, Rojava, Syrie] Chez elle, une femme montre le robinet de sa cuisine à sec. L'eau ne coule plus dans les canalisations de la ville et elle attend le camion-citerne promis depuis des heures. Un marché parallèle s'est développé : les conducteurs privilégient ceux qui paient le plus. Avec l'inflation, certaines familles dépensent jusqu'à la moitié de leurs revenus uniquement pour l'eau. « Pour manger, on peut toujours trouver des substituts, l'électricité on peut s'en passer plus ou moins. Mais l'eau, il n'y a pas de discussion », confie un habitant.
UN FLEUVE RASSEMBLEUR
[Raqqa, Syrie] Un groupe d'hommes et quelques jeunes garçons se rassemblent sur les berges du fleuve Euphrate, à Raqqa, afin de partager un repas convivial. Une habitude qu'ils ont depuis toujours et ce, même si le niveau de l'eau recule au fur et à mesure des années. Le fleuve occupe effectivement une grande part symbolique dans la vie sociale des habitants.





[Raqqa, Syrie] La section des interventions médicales d'urgence et des pompiers de Raqqa dispose d'une brigade de 6 plongeurs. Jusqu'à récemment, ils surveillaient quotidiennement l'Euphrate entre les ponts de la ville, mais depuis l'agression de locaux sous l'emprise de drogue ou d'alcool, cette brigade n'intervient plus que suite à un appel téléphonique. Une campagne de sensibilisation a été mise en place, mais les cas de noyade continuent d'augmenter. Malgré la baisse considérable du niveau d'eau, le centre du fleuve reste profond, et bon nombre se laissent surprendre par le courant ou ne savent simplement pas nager.


[Raqqa, Syrie] Dans sa caserne, un pompier se tient devant un véhicule hybride, assemblage d'un vieux camion et d'une citerne. Faute de moyens, la majorité des véhicules d'intervention ne sont pas standardisés : dix camions au total pour toute la ville, souvent hors service. Ces adaptations de fortune ralentissent les interventions et peuvent être dangereuses lors de l'usage des canons à eau. Depuis 2018, l'unité de réponse d'urgence de Raqqa regroupe environ 120 membres, répartis entre secours médicaux, lutte contre les incendies et opérations de sauvetage de noyés – un dispositif fragile mais vital pour la ville.
L'AVENIR EN POINTILLÉS
[Lieu, Pays] Qamishlo, Rojava, Syrie. Au cœur de Qamishlo, des cercles de danse se forment dans la foule. Femmes, hommes et enfants s'y retrouvent, portés par des musiques traditionnelles en kurde ou arabe. En ce 20 septembre, l'anniversaire de la création du Parti de l'union démocratique (PYD) – celui qui contrôle actuellement le Rojava – se joint à la célébration d'une résistance plus ancienne : celle d'un peuple qui continue à vivre et à célébrer la vie malgré la guerre, la soif et l'exil.





[Qamishlo, Rojava, Syrie] Dans la foule, un enfant soulève une affiche marquée du symbole du Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK) et du visage d'une martyre : Menija Hajo Heidar. Coprésidente du Parti de l'union démocratique (PYD), elle s'était rendue le 17 janvier 2025 au barrage de Tichrine avec un convoi de civils où elle a été tuée par des frappes aériennes turques, ainsi que cinq autres civils, tous fondateurs de l'Administration autonome. Ici, on peut lire « Diya gêrîla şehîd namirê » qui signifie littéralement : « Mère de Gêrîla, tu es une martyre et tu ne mourras jamais » – Gêrîla étant ici le surnom de son fils aîné qui a rejoint le mouvement armé du PKK.


[Qamishlo, Rojava, Syrie] Zîwar Sexo, journaliste et cofondateur de Green Tress, présente des boutures de « Qazwan » (Pistacia atlantica) cultivées dans une pépinière artisanale de Qamishlo. L'association a été autorisée à investir dans ce terrain que gère l'Administration autonome. Elle tente de restaurer la mémoire écologique du Rojava. Un territoire jadis verdoyant, avant qu'Ankara n'impose sa politique d'assèchement, puis que le régime d'Assad ne contraigne les populations kurdes à cultiver la terre pour du coton ou du blé (il était alors interdit de disposer de graines et de faire pousser des arbres). Planter devient ici un acte de résistance, un moyen de s'enraciner à nouveau.
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LE PHOTOGRAPHE NICOLAS MATHYS
Aventurier et passionné d'explorations, Mathys, comme il aime qu'on l'appelle, s'intéresse aux milieux montagneux et polaires, et ce, depuis une expédition autonome en Islande. Ces dernières années, la découverte des étendues sauvages canadiennes, où il a été formé comme « guide de plein air », lui a permis de rencontrer les populations autochtones nord-américaines : les Premières Nations. Désormais installé dans le Sud-ouest de la France, il partage son temps entre les Pyrénées, les pays bordant l'Arctique et le reste du monde.