REPORTAGES PUBLICATIONS CONTACT
LES PYRÉNÉES SOUS LA FOULE
HAUTES-PYRÉNÉES ET ARIÈGE, FRANCE  •  PHOTOS © PASCAL THOLE / AGENCE ZEPPELIN
Elles n'ont jamais été autant piétinées. Les aires de protection des Pyrénées, qui sanctuarisent des paysages époustouflants, ont du mal à contenir leurs visiteurs. Aux premières loges, les gardiens des refuges de montagne sont tiraillés entre les exigences de leurs clients et la sobriété qui s'impose en pareil isolement. Des enjeux d'autant plus sensibles que les sécheresses de ces dernières années menacent à leur tour ces milieux fragiles.
« Pour la première fois en 2023, les Hautes-Pyrénées ont franchi la barre des 5 millions de nuitées, soit une augmentation de 12 % par rapport 2022 et de 5 % par rapport à 2019, dernière année de référence avant le covid », indique Isabelle Pélieu, directrice de HPTE, l'agence de développement touristique du Département, dans une interview donnée au journal La Nouvelle République des Pyrénées. Le pic de réservation se situerait du 29 juillet au 12 août, où le taux d'occupation frôle les 100 %, en particulier autour du Pic du Midi, du col du Tourmalet, du cirque de Gavarnie et du Pont d'Espagne. De ce dernier, il n'y a qu'à voir le parking complet (1800 places) pour prendre conscience de la frénésie qu'éprouvent les randonneurs envers le Parc national des Pyrénées.

Sportifs ou amoureux de la nature, entre amis ou en famille, les randonneurs sont de plus en plus nombreux à « consommer » la chaîne pyrénéenne. Croissante depuis l'après-guerre, cette fréquentation a marqué un violent coup d'arrêt lors de la pandémie, avant de connaître un regain d'intérêt. Une embellie économique qui soulève de multiples enjeux pour la préservation de l'environnement. Cela impose de repenser l'accueil des visiteurs et la gestion des refuges, voire de mieux répartir cette affluence sur l'ensemble du massif afin de minimiser ses impacts.
[Cauterets, Hautes-Pyrénées] Au milieu du mois d'août, le parking du Puntas affiche complet. Il permet d'accéder au fameux Pont d'Espagne datant de 1886 et à la cascade éponyme. Il est aussi un point de départ pour randonner sur le plateau du Clot, et jusqu'aux vallées des Oulettes et du Marcadau. Cette aire de bitume peut contenir 1800 véhicules. Elle a été réhabilitée en 1995 dans une volonté de rassembler les véhicules et leur pollution visuelle et sonore. Le tarif pour s'y garer s'élève à 8 euros à la journée. © PASCAL THOLE / AGENCE ZEPPELIN
Une biodiversité sous pression
La chaîne des Pyrénées abrite une faune et une flore exceptionnelles, constituant un réservoir de biodiversité majeur. Le Gypaète barbu, le Desman des Pyrénées ou encore l'Androsace ciliée, pour ne citer qu'eux, nécessitent des écosystèmes protégés pour survivre. Or l'afflux touristique constitue une menace pour ces « espèces parapluies » déjà fortement affaiblies par le réchauffement climatique. Le piétinement des sentiers et l'éparpillement des randonneurs perturbent la faune sauvage et l'introduction, sans le savoir, de nouvelles espèces invasives ou d'agents pathogènes par les visiteurs, représentent des dangers pour cet équilibre naturel.

Le Parc national des Pyrénées essaie d'apporter des solutions à ces problèmes. La canalisation des randonneurs sur des itinéraires bien délimités en est une. Elle protège la flore et les insectes vivant dans ces prairies fragiles. Elle évite également d'effaroucher les animaux qui risquent de quitter leur habitat pour en trouver un autre, moins exposé. « Quand on explique aux gens ce que l'on met en place pour préserver l'environnement, ils le comprennent et l'approuvent. Ce qui leur manque, c'est la connaissance du milieu et les dommages qu'ils peuvent lui causer. En ce sens nous avons un rôle pédagogique », explique Éric Buffard, agent de terrain au Parc national des Pyrénées sur le secteur de Luz-Gavarnie.
[Cauterets, Hautes-Pyrénées] En août, le soleil illumine les crêtes du Vignemale dès 7 heures du matin. Hébergés au sein du refuge des Oulettes de Gaube, ou dans une tente dressée à proximité immédiate, certains randonneurs sont déjà en chemin. Quelques-uns sont même partis à 5 heures. © PASCAL THOLE / AGENCE ZEPPELIN
Des robinets à sec
L'explosion de la fréquentation se voit notamment sur certains sites prestigieux des Pyrénées. Elle pèse sur les infrastructures déjà existantes, notamment les refuges de montagne. Isolés dans un milieu naturel vaste, ces établissements ont pour rôle historique d'accueillir les randonneurs et les alpinistes, mais ils doivent aujourd'hui s'adapter au tourisme de masse.

Dans ces lieux de repos, les nouveaux pratiquants de la montagne aiment à retrouver des éléments de confort tels qu'une douche, des prises électriques et un service de restauration diversifié à toute heure de la journée. Parallèlement, certaines aides publiques ont incité ces exploitations à augmenter la gamme de leurs services ; les douches en font partie. Or, la plupart des refuges de montagne ne sont pas raccordés aux réseaux d'eau potable. Ils dépendent de captages de sources, de la fonte des neiges, des lacs ou de la récupération d'eau de pluie. Autant de ressources vulnérables aux sécheresses qui, ces dernières années, se sont intensifiées. « À la fin de la saison 2022, la source qui alimente d'ordinaire le refuge des Estagnous ne suffisait plus, et nous avons dû fermer plus tôt que prévu », se souvient Stéphane Amiel, co-gérant du site à Bordes-Uchentein.
[Cauterets, Hautes-Pyrénées] Deux gardiennes nettoient la vaisselle au sein du refuge des Oulettes de Gaube. Ici, la quantité d'eau dépend des aléas climatiques auxquels la saison estivale est particulièrement sensible. C'est pourquoi la plonge requiert d'être méthodique pour ne pas gaspiller l'eau. © PASCAL THOLE / AGENCE ZEPPELIN
Sensibiliser le « consommateur »
Tiraillés entre l'opportunité d'offrir un accueil de qualité et les nuisances induites sur l'environnement, ces exploitations commerciales tendent aujourd'hui vers une forme de sobriété. Face au défi de taille que représente le changement climatique, ils mettent en œuvre des solutions écologiques et durables. Les panneaux solaires sont utilisés depuis longtemps, les toilettes sèches, les composteurs et les produits biodégradables sont de plus en plus fréquents… Certains refuges vont jusqu'à supprimer les douches, à l'instar de celui des Espuguettes, à Gavarnie-Gèdre, qui n'en a jamais possédé. Ce dernier, construit en 1972, applique une gestion durable des ressources naturelles, tel que le préconise le Parc national des Pyrénées, son propriétaire.

Les gestionnaires des refuges, tout comme les gardiens et gardiennes, ont su s'adapter à toutes ces contraintes. Au pied du Vignemale, qui voit le glacier d'Ossoue fondre comme neige au soleil, le refuge des Oulettes de Gaube est le deuxième refuge français en termes de fréquentation, avec 9 516 nuitées en 2023. La saison 2024 a été encore meilleure avec 9 590 nuitées… Claire Bodin, co-responsable du site, est pleinement consciente des enjeux à venir : « Nous essayons au maximum d'impliquer les randonneurs sur la gestion de l'eau, notre préoccupation majeure, mais aussi sur la gestion des déchets. Beaucoup redescendent avec des poches de détritus, ce n'est pas grand chose en soit mais cela nous évite quelques rotations d'hélicoptère… » Ainsi, la modernisation des infrastructures, seule, ne suffit pas. Elle doit s'accompagner d'une sensibilisation du grand public à la fragilité de ces zones de montagne qu'il affectionne tant.
[Gavarnie-Gèdre, Hautes-Pyrénées, Hautes-Pyrénées] Éric, agent du Parc national des Pyrénées, tend une corde de balisage pour dissuader les randonneurs de sortir du sentier, en aval du refuge des Espuguettes. Cette pratique existe depuis longtemps, mais la hausse de la fréquentation et le changement climatique accélèrent le ravinement des sentiers. « Quand on explique aux gens ce que l'on fait pour préserver l'environnement, ils le comprennent et l'approuvent. Ce qui leur manque, c'est la connaissance du milieu et les dommages qu'ils peuvent lui causer. En ce sens nous avons un rôle pédagogique », explique Éric. © PASCAL THOLE / AGENCE ZEPPELIN
Des choix politiques
Pierre Torrente, directeur adjoint de l'Institut supérieur du tourisme, de l'hôtellerie et de l'aménagement (ISTHIA) et responsable du site de Foix, regrette la suppression des classes montagne à l'école : « Elles avaient un rôle pédagogique important quant à la manière d'aborder le milieu montagnard. » Selon lui, l'aménagement de la montagne passe par des choix politiques : « La concentration des visiteurs se fait dans des lieux phares des Pyrénées, ce qui contribue à la saturation de certaines zones et donne cet effet de sur-fréquentation. Or, seulement 2 % de la montagne est surchargée… Une des clés pourrait être de diversifier les itinéraires et d'encourager la découverte d'autres territoires moins connus, mais tout aussi magnifiques. » Pour cela, il faudrait des transports publics adaptés, notamment des navettes pour relier les villages. « Le développement territorial doit se faire par une population pérenne dans ces zones de montagne, avec un statut de pluriactif. »

Dans tous les cas, la protection de l'environnement passera par des choix politiques forts. En renforçant la connaissance du grand public sur les écosystèmes montagnards, en continuant d'adapter les refuges et les autres infrastructures touristiques, en répartissant mieux la fréquentation sur l'ensemble de la chaîne, les générations à venir peuvent espérer hériter de ce patrimoine naturel et culturel.

Pascal Thole
LE PHOTOGRAPHE  PASCAL THOLE
Pascal se plonge dans le photojournalisme et la photographie documentaire pour répondre à la curiosité qui nous anime, et mieux comprendre les enjeux du quotidien. Il photographie des anonymes dont la vie ordinaire constitue leur richesse. C'est ainsi, au cours de discussions, de rencontres ou bien de lectures, que les sujets se dévoilent devant lui. Originaire des Pyrénées, ses reportages s'inspirent du territoire qu'il affectionne ; ils abordent essentiellement des thèmes sociaux et environnementaux.